Défends-toi, sublime Beauté du monde donné ! Défends-toi, Beauté violente ! »
Jean Paul MICHEL
À la demande du Honin Art Center de Chengdu, centre d’art qui accueillait mon exposition : « Les Beautés Mortelles », j’ai filmé plusieurs artistes du Sichuan.
J’ai eu beaucoup de chance. Ils étaient tous talentueux.
Nous n’avons qu’une idée incertaine depuis notre vieille Europe, de ce que la Chine recèle d’artistes de réelle valeur, dans tous les champs d’une activité artistique foisonnante qui se développe, un peu comme partout, malgré tout.
Je n’étais pas vraiment rassuré.
Comment allé-je mettre en mouvement des corps qui, a priori, ne sont pas habitués à bouger ? Allait-il se passer quelque chose face à l’objectif de la caméra dans le studio flambant neuf du Honin régi par le sympathique Quan, technicien et photographe habile , tout dévoué à la réussite de mon travail, avec lequel nous réglons rapidement des lumières simples, le fond noir qui m’est de nécessité, les quelques détails techniques indispensables à la qualité de la prise.
On m’a fait parvenir leurs portfolio, le lien de leur site web, des vidéos auxquels j’ai jeté un rapide coup d’oeil sachant par expérience que les choses se jouent dans la rencontre réelle et la vibration, bonne ou mauvaise qui s’ensuit.
J’ai donc filmé :
TIA Mansha, l’actrice de l’opéra chinois qui n’a jamais tombé le masque mais a fini par mimer la douleur d’un souvenir,
LIU Jiuzhang, le grand musicien mongol mouvant avec grâce ses belles mains et m’avouant qu’il aurait aimé danser.
LI Hongqi timide et populaire chanteur de reggae, fervent croyant dont j’ai fini par filmer la prière angoissée qu’il adressa au ciel du studio.
AN SU, photographe et amoureuse de la montagne, de l’escalade surtout, avec un gout du risque qui augure bien de son avenir.
DENG Xiao, sculptrice étonnante, habitée par l’obscurité, la brillance stellaire et le profond de la matière.
HU Shun Xiang, peintre de talent, toutes antennes dehors, oeil noir, irradiant douceur, sensualité et longue patience.
WANG Qinsong, photographe renommé, qui, à l’instar d’un Rembrandt, multiplie sa présence dans ses propres oeuvres. Art consommé de sa mise en scène, joueur et sincère. Don et retrait.
HE LiPing, performer et rappeur, dont j’ai du filmer le refus obstiné de se livrer, ce qui a fini par constituer un portrait.
SHUARE Shizu, le jeune peintre Yi, vif, habile dans l’esquive, tout à sa passion envahissante.
ZHOU Bin, performer et plasticien, pris dans l’élan impérieux d’une énergie brûlante.
MA Zhandong enfin, cinéaste et documentariste, surpris de se retrouver nez à nez avec cet objectif dont il a tant usé. Bouleversant d’honnêteté.
Tous de vrais artistes, profondément engagés dans leur pratique, certains en pleine réussite, d’autres en devenir prometteur, tous, en tout cas, cordiaux, modestes et ne faisant pas de manières.
Il est difficile de réussir le portrait de quelqu’un. Réaliser des portrait dansés, à quelques exceptions prés, ne m’a jamais paru hors de portée.
J’appréhendais d’avoir à filmer des personnes qui ne sont pas « du corps ». Je me trompais. Peut-être est-ce du au fait qu’elles étaient chacune à sa manière dans une pratique qui implique l’être dans son entier et donc, la connaissance de soi et d’autrui, l’accès peut-être plus facile à sa propre sensibilité.
Quelle chose étrange lorsqu’on y réfléchit.
Que sont ces portraits ? Quelle fut ma tentative ?
Essayer de saisir la lumière et les ombres de femmes et d’hommes qui tous ont voué leur vie à faire la même chose.
Peindre, filmer, photographier, chanter, composer, sculpter …la vie, l’effroi, l’indicible possibilité du meurtre, l’épiphanie des visages, l’obscurité du dedans, la pointe acérée du désir et tous ces corps qui sombrent.
Construire comme on peut la verticale que nous tentons d’élever face à l’absurde. Défendre la Beauté qu’il faut sauver parce que, partout, on la tue.
Heddy MAALEM
应成都的红印艺术中心——当时举办我展览《致命之美》的艺术机构——之邀,我拍摄了几位四川的艺术家。
我非常幸运,他们都很有才华。
自我们这片古老的欧洲,对中国所蕴藏的真正有价值的艺术家,其实所知寥寥。可事实上,在一个创作蓬勃的艺术世界里,各种艺术形式都在发展,就像世界上其他地方一样,尽管困难重重。
起初我并不太踏实。
我如何才能让一些原本未必习惯于身体律动的人去动起来?在红印那间崭新的摄影棚里,面对镜头,他们会发生些什么吗?这个摄影棚由亲切的泉君掌管——他既是技师又是摄影师,手艺娴熟,全身心投入于我工作的成功。我们很快就布好几盏简单的灯,竖起了我必需的黑色背景,并调试完拍摄质量所必备的一些技术细节。
在此之前,他们的作品集、网站链接、一些视频都已传来。——我只是快速浏览了一下,因为凭经验我知道,一切最终取决于现场相遇的瞬间,以及随之而来的共振,不论好坏。
于是我拍摄了:
田蔓莎——川剧演员,她从未卸下面具,但终究还是以表演让一个痛苦的记忆浮现;
刘九彰——那位伟大的蒙古族音乐家,他的双手舞动优雅,还向我坦言,他其实希望自己能跳舞;
李红旗——害羞却受人喜爱的雷鬼歌手,信仰虔诚,我最终拍下了他在摄影棚里向天空诉说的那段焦灼的祈祷;
安溯——摄影师,热爱高山,尤其迷恋攀岩,嗜险的性格预示着她广阔的未来;
邓筱——惊异的雕塑家,她的作品饱含黑暗、星辰的闪耀与物质的深渊;
胡顺香——富有才华的画家,全身都是触角,黑眼睛,光芒中透出温柔、感性和无尽的耐心;
王庆松——著名摄影家,他仿佛如伦勃朗一般,把自己反复置入作品之中。其布景技艺炉火纯青,既游戏,又真诚。施予与抽离;
何利平——行为艺术家、说唱歌手,我只能拍下他顽固的拒绝与抗拒,这最终也形成了一幅肖像;
耍惹石祖——彝族青年画家,灵动、善于闪避,沉迷于自己那股汹涌的激情;
周斌——行动艺术家与造型艺术家,被一股炽烈而无法遏制的能量推涌着;
马占东——电影人、纪录片导演。突然发现自己置身于那个他无数次使用过的镜头之前,竟那样震撼人心的真诚。
他们都是地地道道的艺术家,深深投入于自己的实践中。有些已经大获成功,另一些则前途光明。无论如何,他们都热情谦和,不摆架子。
要成功塑造一个人的肖像并不容易。而我一向觉得(除了少数例外)拍摄舞动的肖像并非不可企及。
我曾担心,要拍摄一些“不属于身体”的人。其实我错了。或许正因为他们各自在各自的实践中,无一例外都牵涉到全人的投入,这自然包含了对自我和他者的认知,也让他们更容易抵达自己的敏感与真诚。
这真是件奇异的事情,仔细想来。
这些肖像究竟是什么?我的尝试究竟是什么?
只是努力去捕捉那些男人与女人们的光影,他们都将一生奉献于同一件事:
去描绘、去拍摄、去摄影、去歌唱、去创作、去雕刻……生命、惊悸、那难以言说的杀机、面庞的启示、内在的黑暗、欲望的锋芒,以及所有下沉的身体。
尽所能地去建构那条笔直的竖线,好让我们在荒谬面前竖立起来。
去守护必须被拯救的美,因为在各处,它正不断被毁灭。
—— 赫迪·马拉姆
Collaborating Artists / 驻留合作艺术家/音乐人
An Su 安溯
Personal website: https://ansuginkgo.com/information
Reference website: https://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_19646194#
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/NRdDr8pwITJ0AhD17bxkdg
Deng Xiao 邓筱
Personal website: https://www.xiaodengart.com/about-me/
Reference website: https://2nd.annualmetaverseart.com/artist/deng-xiao/
He Liping 何利平
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/wK0d_PyfJOV3lN_mI2h4UQ
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/snFU765ICCU-8J8F11VDdw
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/OTn_Ua8foet4NK3PzGpbLQ
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/T16pjtUlSEkhLAkBz_R-6A
Hu Shunxiang 胡顺香
Personal website: https://hushunxiang.com
Reference website: https://website-leogallery.artlogic.net/artists/595-hu-shunxiang/biography/
Reference website: https://hdmgallery.com/cn/artists/75-hu-shunxiang/overview/
Reference website: https://www.leogallery.com.cn/usr/library/documents/main/artists/595/hu-shunxiang-cv-leo-gallery.pdf
Li Hongqi 李红旗
Summary of musical works: https://music.163.com/#/playlist?id=7338215575
Reference website: https://www.baike.com/wikiid/6943080059717670176?anchor=1
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Liu Jiuzhang 刘九彰
Reference website: https://baike.baidu.com/item/刘九彰/7111558
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Ma Zhandong 马占冬
Reference website: https://www.douban.com/personage/35499290/
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/kxn9ZQm4YP34x9fVE2FYug
Reference website: https://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Ma_Zhandong.htm
Shuare Shizhu 耍惹石主
Reference website: https://www.theworldofchinese.com/2024/01/beyond-the-frame-shuare-shizhus-world-in-wide-strokes/
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/83e2Mhn6n6q99BgYkbaKKg
Reference website: https://mp.weixin.qq.com/s/jqMjdlse1kAITOgmkTiGBA
Tian Mansha 田蔓莎
Reference website: https://aefestival.gr/tian-mansa/?lang=en
Reference website: https://www.impulstanz.com/en/artist/id1577/
Reference website: https://www.geisteswissenschaften.fu-berlin.de/en/v/interweaving-performance-cultures/fellows/fellows_2011_2012/mansha_tian/index.html
Reference website: p134-p143
Wang Qingsong 王庆松
Personal website: http://www.wangqingsong.com/index.php?option=com_content&view=article&id=6&lang=zh
Reference website: https://photographyofchina.com/author/wangqingsong
Reference website: https://www.chinesenewart.com/chinese-artists8/wangqingsong.htm
Zhou Bin 周斌
Reference website: https://www.artlinkart.com/cn/artist/overview/836bvvm</
Deng Xiao a déjà derrière elle une oeuvre considérable. Tout semble tourné vers un ailleurs futuriste, objets comme venus de galaxies lointaines, surfaces de métal poli à la géométrie tourmentée, comme ayant traversé des années lumières avant d’arriver là , tels des messages énigmatiques à nous adressés.
Une oeuvre prolifique, spectaculaire, gigantesque parfois lorsqu’elle vient s’inscrire dans un espace public qu’elle projette alors vers un avenir sinon radieux, brillant en tout cas, glacé peut-être, inquiétant sûrement même s’il semble rempli des promesses de prouesses technologiques inouïes.
Deng Xiao est préoccupée par l’énigme et elle l’expose au yeux un peu ébahis d’un public toujours en mal de nouveautés étranges, sous le charme des brutaux mais élégants mystères qu’elle sculpte dans d’étranges matières.
Elle impressionne par l’énergie déployée et la pénétration de son regard capable de porter plus loin que la voie lactée, dans le noir sidéral , là où rien ne trouve d’écho, là où la nuit rejoint la nuit, où le noir n’est plus une couleur.
Pourtant, à y regarder de plus près, peut-être n’est ce pas vers un futur interstellaire que tend l’art exceptionnel de cette jeune femme discrète, à la beauté toute de noir vêtue, à la sensibilité profonde. Sa timidité n’est qu’apparente. Elle est tournée vers l’intérieur d’elle même, à l’écoute constante de ce qui la hante et qu’elle s’emploie à mettre au jour : le noir de l’énigme ontologique, le reflet miroitant des questions irrésolues.
Parmi lesquelles, l’origine.
Le plus grand mythe de l’humanité, le plus répandu parmi la petite dizaine qui ont survécu depuis que l’homme est l’homme, est celui du « trou de l’émergence ».*
Les animaux, les hommes, le vivant, sont sortis de sous la terre pour venir la peupler.
Dans beaucoup de ses sculptures, Deng Xiao, fait revivre la caverne originelle. Grotte miroitante, stalactites tombant de la voute céleste comme des éclairs solidifiés par la rage d’êtres lointains visant notre planète plus tout à fait bleue.
J’ai eu la chance de filmer Deng Xiao, de réaliser son portrait. Elle est venue dans ses habits noirs, un peu paniquée par l’idée d’avoir à se mettre en mouvement face à la caméra. Je n’ai rien trouvé de mieux à lui dire que, si c’est ce qu’elle ressentait sur le moment, elle pouvait jouer à dissimuler, ce qui, somme toute, constituerait le départ d’un mouvement.
C’est ce qu’elle fit, avec une science consommée de l’ombre et de la lumière, si bien que je n’eus pas grand chose à faire de ce côté là.
La vidéo était parfaite. Elle disait un essentiel.
Nous venons au jour, nous jouons avec des ombres, la nuit finit par tout recouvrir y compris les magnifiques yeux un peu irréels de Deng Xiao, ces yeux qui ont vu depuis la nuit de la caverne jusqu’à celle, infinie, des étoiles.
Si vous avez la curiosité de vous glisser à l’intérieur d’une des sculptures de Deng Xiao, vous ressentirez beaucoup de choses sans doute oubliées par l’adulte au cuir épais que vous êtes devenu.
Une paix, un calme mais aussi la vision déformée de vous même se reflétant sur la surface d’acier poli de cette grotte improbable.
Sans doute était-ce la même chose que les lointains parents de notre préhistoire sont venus chercher dans les sombres cavernes. La protection contre la violence et la sauvagerie du dehors, un peu de paix au sein du chaos.
Ils firent du feu, parlèrent sans doute, et puis inscrivirent sur les parois les premières oeuvres d’art, la projection de leur humanité encore mêlée à l’animal dont il fallut bien se distinguer. En même temps, tenter de comprendre, la mort, la nuit, le désir meurtrier, la nuit et les flammes qui la trouent, créant d’étranges danses sur la roche.
La nuit du rêve, effrayante et prémonitoire.
Trouver le courage enfin de sortir à nouveau au grand jour, trouver le trou de l’émergence au travers du tortueux chemin qui mène vers notre humanité.
Deng Xiao, à sa manière, puissante et ambitieuse, fait cela et nous dit, par la force de son art, ce que, tous, nous refusons d’entendre : nous allons de la nuit à la nuit, nous venons du trou de l’origine, nous nous perdons dans le miroitement de la caverne, nous tentons de gagner le ciel sombre, à nouveau captifs dans d’étranges capsules, sans rien avoir compris à notre enfermement premier.
Heddy Maalem
邓筱已经拥有了一份相当可观的作品。
她的艺术似乎皆朝向某个未来主义的 »他处 »,那些作品仿佛来自遥远星系的物件:金属表面抛光而冷冽,几何线条扭曲、纠结,似乎穿越了光年的旅程才抵达此地,犹如一封封神秘报文,专为我们而来。
她的创作丰沛、壮观,有时甚至宏大至极,当这些作品进入公共空间时,会将其投射向某种未来——未必光明,却必然璀璨;或许冰冷,定然令人不安,即使它们充盈着前所未有的科技奇迹的承诺。
邓筱关注的是谜团,并将其展示在观众略显惊异的目光之下。人们总是渴望陌生的新奇,而她以奇异材质雕刻出的那些既粗砺又优雅的神秘,深深吸引了他们。
她以磅礴的能量震撼人心,她的目光敏锐而深入,仿佛能穿越银河,在那无回声的宇宙暗黑深处,在夜与夜重叠、黑不再是颜色的尽境之所,找到凝视的支点。
然而,若凝神细察,也许她的艺术并非真的指向某个星际未来。
这位年轻却低调的女艺术家,身着一袭黑衣,气质优雅而感性细腻。她的羞怯只是表象,事实上,她总是朝向自身的内里,默默倾听那些萦绕心魂的幽暗,并努力将之显现:存在之谜的漆黑本源,尚未解答的问题在镜面上闪烁回响。
其中最核心的,便是——起源。
人类最伟大的神话,也是最广为流传、顽强存续于寥寥数个古老传说中的一个,正是 »出现之孔 »的神话。
动物、人类与万物,皆自地底之下穿出,来使大地繁盛。
在邓筱的许多雕塑之中,那个最初的洞穴再次复活。那些熠熠生辉的岩洞景象,穹窿上的钟乳石如闪电凝固,是远古存在怒掷向我们不再纯蓝的星球的痕迹。
我有幸为邓筱拍摄,为她制作肖像。
她身着黑衣而来,面对在镜头前要做出动作的想法略显惊慌。我所能对她说的,只是: »如果此刻你觉得必须隐藏,那大可以去演绎隐藏——毕竟,那本身便是动作的开端。 »
她的确如此做了,以极其娴熟的光影掌控来表达,于是几乎无需我再去调整。
画面已然完美,表达了最核心的东西:
我们来到光明之下,与影子共舞,最终夜晚覆盖一切——甚至覆盖邓筱那双微显非凡的美丽眼睛。那双眼睛见证过从洞窟黑暗到群星无垠的漫长夜色。
若你有好奇,亲自进入邓筱的一件雕塑之内,你将感受到那些成人在日常中早已忘却的东西。
一种宁静,一份安详,或是从抛光钢铁的洞穴壁上折射出的那种怪异形象——你被扭曲而陌生地映照出来的自己。
或许,这正是我们的远古祖先曾经在幽暗的洞穴中所寻找的东西:抵御外界暴力与残酷的庇护,以及混沌中片刻的安宁。
他们升起火光,或许交谈,然后在洞壁上留下最初的艺术:那既反映出他们与动物尚未切割的共生状态,也显露出他们急切理解的欲望。
去理解死亡,理解黑夜,理解杀戮的渴望;理解夜色与火焰交织,如何在岩石上播撒出奇异的舞蹈。
梦境之夜——可怖,又带着预兆。
他们终于鼓起勇气,再度走向光天化日,循着那条曲折的通道,找到 »出现之孔 »,走入人性的真正来处。
邓筱正以她独特、雄心勃勃的方式,重演这一切,并以艺术的力量告诉我们所有人,那些我们拒绝听见的事实:
我们从夜走向夜,我们源自最初的黑暗孔穴;我们在洞窟的幻影中迷失,又试图飞升至黯沉星空;然而最终,我们依旧被囚禁在诡异的舱壳之内,从未真正理解过那最初的囚禁。
—— 赫迪·马拉姆
Raffinée, est le mot qui vient quand on la voit pour la première fois. On la sent un peu apeurée par la perspective étrange d’avoir à être filmée.
Elle a accepté sans doute parce qu’elle est audacieuse et curieuse, d’elle même aussi, dont elle découvrira plus tard le portrait filmé.
La première prise donne quelque chose d’étonnant. Elle a voulu s’asseoir sur le sol de feutre noir du studio. Fragile dans la lumière persistante, offrant un profil perdu à l’oeil dévorant de la caméra, se détournant, esquivant. On a pu penser à une femme timide mais vers la fin, quand elle donne son regard, se révèle une combattante résolue dont les yeux reflètent un noir énigmatique d’eau profonde, chargé des blessures anciennes de guerres immémorielles.
Ils vous fixent, vous voient, vous mettant au défi de livrer la bataille.
Celle pour la conquête de son amitié par exemple, pour qu’elle consente à vous livrer un peu d’elle même.
Une lutte sophistiquée à fleurets mouchetés.
Pour la galerie, elle présente l’image d’une jeune femme élégante et rieuse, amicale et un peu réservée.
A vous, elle donne le diamant noir de ses yeux. Comme une Sphynge, elle attend de vous que vous sachiez répondre, et sans doute en silence, à la question muette que pose la beauté obscure de son regard.
What ? Semble-t-il demander.
Comme le titre ironique de son tableau représentant une cervelle en apesanteur.
La votre ?
Pour soutenir le dialogue, il faut d’abord écouter et donner son attention. C’est le cas pour toute amitié vraie.
Et d’abord, se pencher sur l’oeuvre de Hu Shun Xiang.
Je perçois dans la sensation envahissante que procure la contemplation de sa peinture, l’omniprésence d’un fond gris, un grand raffinement dans l’exécution du geste pictural qui montre, violences feutrées, réminiscences effarées, sarcasme et ironie, intelligence appliquée, patiente, intuition phénoménale, mémoire longue et crainte de l’évanescence de tout, effroi de la perte, peur du torrent de désir qui déferle et vient troubler la toile. Humour ravageur lié à une grande délicatesse. Extrême complexité venu du fond d’une âme longtemps restée dans le courant troublé du fleuve des larmes de l’enfance.
Distinction.
Amour.
Force.
Compassion.
D’autres situeront l’oeuvre de Hu Shun Xiang dans l’Histoire de l’Art. Ils y verront sans doute les influences de Francis Bacon, des peintres de la Renaissance, du grand art millénaire chinois bien sûr, d’autres choses sûrement que son art transcende, absorbe et restitue dans une expression unique et fine d’énergie pure.
Ses tableaux palimpsestes cachent autant d’armes dissimulées, autant de réponses finement acérées à l’emprise de la griffe monstrueuse de l’existant.
Feutré et et élégant, ce gris, épaissi aussi comme la glu d’un quotidien dans lequel se prennent souvenirs et sentiments, élans d’un érotisme puissant, désirs tout à fait avoués laissant leur traces sur des toiles pantelantes ou dans de petits cadres précieux comme ceux enserrant quelque portrait ancien.
Fresques évoquant avec finesse le déchaînement d’ une société policée où se trame et s’expose l’obscénité des passions humaines. Femmes bafouées, hommes décapités par l’ironie tranchante, bêtise crasse d’une classe sociale prétendument élevée, livrée, comme les autres aux sept péchés capitaux.
Retables polyptyques représentant l’absurde de notre condition.
Mondanités hypocrites. Fêtes désenchantées. Fourberie de l’espèce humaine, trahison des amis, visages simiesques des amants. Insignifiance du prétendu-prétendant. Pathétique danse d’ours de la convoitise virile.
Brouillards d’une enfance éparse et térébrante, découverte incompréhensible d’un monde peut-être hostile, déjà brutal que perçoit à peine née, une enfant effarée refusant de quitter ce nid blotti entre les cuisses de sa mère.
Voilà, entre autres ce à quoi Hu Shun Xiang se confronte avec pour armes, son intelligence, son grand courage, sa beauté un peu distante, son regard d’obsidienne, ses mains agiles maniant le scalpel des pinceaux.
Sa sensibilité de femme debout.
Hu Shun Xiang est une peintre importante, son oeuvre grandit tandis qu’elle atteint sa pleine maturité.
Elle délivre une beauté cruelle, cruauté de l’enfant que le monde a déçu et l’amour abandonné. C’est déchirant de vérité, comme un soleil tamisé par l’opacité de souvenirs dont elle ose recouvrir le gris en traçant sur la toile qu’il empoisse, la perception extraordinairement perspicace du vivant, de notre perte prochaine et des méandres des désirs trop humains.
Heddy MAALEM
精致——这是第一次见到她时最先浮现的词。
她看上去有些惶恐,不安于必须被拍摄的那种陌生感。
她之所以接受,大概是因为她富有胆识,也因为她的好奇,既是对自己,也是对那个她稍后将在影像中发现的自我。
第一次拍摄就呈现出一种惊人的效果。
她选择坐在摄影棚黑色毡布的地面上。脆弱地置身在恒定的光影之中,留下一个模糊的侧影让贪婪的镜头捕捉,她转身、闪避。
人们一开始或许以为她羞怯,但在最后,当她献出目光的那一瞬间,却显露出一名决绝的战士——她的双眼犹如深水的黑色谜团,承载着古老战争的伤痕。
它们凝视你,洞穿你,挑战你,让你不得不应战。
为了赢得她的友谊,例如,为了换取她肯给予你一点点自己。
那是一场精致的比试,一次以钝剑交锋的斗争。
在公众眼中,她是那位优雅、爱笑、友好而略带拘谨的年轻女子。
而在你面前,她给予的却是她眼中那颗黑色的钻石。
如同一位女斯芬克斯,她安静地等待你是否能作出回答——也许是无声的回答——去回应她深邃而神秘的美。
“What ?”——她似乎在问。
正如她那幅讽刺意味浓烈的画作的标题:一颗漂浮的大脑。
——是你的大脑吗?
要维系这种对话,首先需要倾听与关注。所有真正的友谊皆如此。
而首先,该去凝视胡顺香的艺术。
在凝视她的画作时,扑面而来的是一种浩瀚的感受:灰色底蕴的无处不在,以极端精致的笔触呈现出来。
画中既显出潜在的暴力、惊怕的回忆、讽刺与冷笑,也透出沉静的智慧、耐心的工夫、敏锐的直觉、悠长的记忆,和对消逝的恐惧、对欲望洪流冲击画布的恐慌。
又兼具毁灭性的幽默与细腻的优雅。从她童年泪水奔流的河道深处,流淌出这样极其复杂的灵魂。
区分。
爱。
力量。
慈悲。
有人会把胡顺香的艺术放入艺术史的脉络中。他们会看到其中有弗朗西斯·培根的痕迹,文艺复兴大师的影响,当然还有中华千年艺术的深厚底蕴,以及许多其他元素。但她的艺术已然超越、吸收并重新散发,化作一种独特、纤细的纯能量表达。
她的画布如同重写的古稿,隐约覆盖着无数暗藏的武器,以及对现实魔爪的精巧回应。
那抹灰色,既轻柔优雅,又厚重如同胶质,让回忆与情感困于其中,夹带着直白而强烈的欲望,留下痕迹在喘息不已的画布上,或镶嵌在小巧而珍贵的框景之内,如同古老肖像的遗照。
壁画般的构图,细腻地揭开一场“文明社会”的表象,那其中翻涌显露的是人类欲望的猥亵:
女人遭践踏,男人被讥讽斩首,某种“上层社会”的肮脏与愚昧,和他者一样,困于七宗罪。
多联祭坛画般的作品,将我们生存的荒谬诉诸画面。
虚伪的世俗应酬。
失去魅力的宴会。
人性的狡诈。
朋友的背叛。
恋人的猿猴般的面貌。
庸俗的伪追求者。
男性欲望的可怜舞蹈。
还有那弥漫的童年迷雾:幼时初见的世界残酷而陌生,使那未曾准备的孩子几近惊恐,迟迟不愿离开母亲双腿之间庇护性的温床。
这便是胡顺香所直面的:她的武器是智慧,是极大的勇气,是她疏离却动人的美,她那黑曜石般的目光,和操持画笔如同手术刀般敏捷的双手。
她以女性的敏感与坚强站立。
胡顺香是一位重要的画家,她的创作正伴随她走向成熟不断成长。
她揭示出残酷之美——那是世界让孩子失望、爱被遗弃的残酷。
它令人心碎,却真实无比,就像一轮被压抑的太阳,被记忆的阴翳所遮,却依然透过覆满灰烬的画布,以非凡的锐利目光,捕捉生命的本质、我们终将失去的存在,以及过于人性的欲望迷宫。
—— 赫迪·马拉姆
Il y a quelques jours, j’allais à cheval avec mon fils. Comme nous empruntions l’habituelle route vers les collines, il me signala un arbre dont l’hiver dévoilait le dessin remarquable.
Mon fils sait regarder.
Je n’y prêtais pas trop attention, jusqu’à ce que, récemment, mon ami Shen ZuoChang, depuis la belle et lointaine province du Sichuan, m’envoie quelques unes de ses oeuvres, calligraphies, poèmes et peintures dont une douzaine spécialement réalisées à mon intention et qui me sont allées droit au coeur.
Je ne sais pas pourquoi mais le parallèle s’est fait dans mon esprit entre mon ami calligraphe que je revois traçant avec énergie ses idéogrammes mystérieux sur le blanc du papier et cet arbre, seul, au tournant de la route, appuyant le dessin de sa forme contre la page du ciel.
Je suis retourné par le même chemin sans retrouver mon arbre. C’est au retour, alors que mon cheval se ruait avec enthousiasme vers le havre de l’écurie que je l’ai aperçu.
Il y a beaucoup d’arbres dans les collines d’Ariège, dépouillés par le vent d’hiver, ils livrent leur secret jusque là caché par la pudeur des feuilles.
La plupart sont communs, certains font l’effort d’une certaine élégance, très peu sont remarquables.
Un peu comme les humains.
L’arbre dont je parle, bizarrement isolé dans ce paysage de campagne, est sans doute une sorte de génie. Il borde une petite route où passent en ronronnant bêtement de rares voitures tristes.
J’imagine que peu de gens le remarquent.
C’est l’arbre pour quelques uns, peut-être pour un seul.
Il est simplement là et trace son message pour un autre que nous.
Comme Nietzsche, il choisit de regarder ailleurs, ignorant la banalité de nos manigances, pour dire oui à la nuée.
Il s’adresse au ciel. Il a patiemment inscrit en poussant ses branches, le signe magnifique qui lui est venu de la terre profonde.
Il a le temps
Le ciel lui répond et, par ses subtiles variations de couleur, nuance la savante expression de l’énergie montée jusques à lui.
Je l’observe.
Je vois ses branches planter sans remord leurs griffes noires au coeur du ciel changeant. J’imagine, comme un dialogue de l’univers ; surgi du ciel nocturne, un éclair faisant descendre sa menace dans la nuit où l’arbre disparait. Et la réponse, patiente, tenace, élégante et d’une extraordinaire complexité enchevêtrée dans l’écriture des branches.
Ou bien, au contraire, la question adressée et ce qui, en écho, semble rire du fond de notre nuit cosmique.
L’arbre est là.
Pour rien.
Il fait signe en vain, ou presque, puisque malgré tout, un cavalier solitaire le contemple, se laissant impressionner par la puissance de son obstination muette.
Je pense à nouveau à mon ami calligraphe, à son geste quand, régulièrement, il vient rincer le pinceau dans le grand bol de porcelaine. L’eau se teinte peu à peu du noir de l’encre de chine, comme, ici, la nuit liquide vient assombrir le ciel et noyer la ramure ciselée.
Elle viendra tout recouvrir de cette ombre où se fomentera le jour à venir.
Aube et aurore, assistantes zélées, viendront changer l’eau noircie de la nuit.
Bientôt, il fera jour et l’arbre répètera le même signe.
En vain me dis-je, en vain.
Un et deux et trois et quatre, disent les sabots de mon cheval.
Allons, allons, avance, avance.
Je sais qu’il a raison et je le remercie en me fondant dans son rythme de sagesse.
Il me semble maintenant comprendre un peu mieux l’art simple et merveilleux de mon ami Shen ZuoChang.
Il fait comme l’arbre.
Heddy Maalem – Janvier 2025
在两次仰卧起坐之间,春春发出了一种喉音,是蒙古的呼麦。我注意到,当他有点无聊或者因为排练拖得太久而不耐烦时,他就会这样唱。
我来到遥远的四川成都已经好几天了,一直在观看舞蹈家兼编舞家余尔格的排练,她是我多年的老朋友。
燕子和昀在走廊里抽烟。玥琦、嘉豪和韵寒是女生,立和邓,正在标记“聊斋志异”的一场戏,这是尔格最新创作,灵感来自17世纪中国作家蒲松龄的同名书籍。
这些“聊斋志异”中的五百多个故事,既充满了执着的幻想,也可以用这句话来概括:“世上不缺美
女!为什么非要娶个鬼?”
尔格的改编充满了幻想,技艺高超,敏感,聪明,有点疯狂而且非常动感。
看着我朋友的愿景日益清晰,我感到非常高兴。
她充满了能量和决心,一心向着她的目标前进。她知道自己要去哪里,并且像所有的创造者一样,在怀疑的森林中跋涉,拨开各种障碍的重重植被,直到发现从项目诞生起她直觉上知道必须到达的地方。
设计师超超,作曲家昕,剧作家洁,都默默地靠在工作室的墙边,帮助建构整个作品。
在成都这栋大楼的十六楼的排练室里,气氛轻松。
我观察着舞者们的动作,他们表面上似乎漫不经心,但实际上非常注意在需要他们的确切时刻出现。
他们的水平相当惊人,即使在中国,这也并不令人惊讶。
十多年前,我有幸在这里工作,认识并欣赏中国舞者。
我注意到他们取得了显著的进步。除了他们高超的技术水平,每个人都表现出极大的灵活性、成熟度和创造力。
最重要的是,他们的友善和谦虚。
我经常见到一些现代舞者,他们莫名其妙地觉得自己重要且优越,这种傲慢和自我感觉良好往往掩盖不了他们缺乏真正的才华。
与他们相比,在这里真是愉快得多,伴随着更好的公司。
作为优秀的专业人士,舞者们再次勾勒出他们动作的精准结构。
现在是90分钟完整排练的时刻。
尔格知道她需要删减和缩短,找出重复的部分,放弃它们,收紧她的叙述,使其在舞台上展现出集中能量的冲击力。
尽管我长期以来对这一过程已经习惯,但我仍然有些惊讶于当能量真正流动时,身体的变形。不再是虚假的表演。
在有些闷热的工作室里,每个人都毫不保留地拿出最佳表现。
多么强大的能量和变形!
工作人员围在尔格周围,提出批评和意见。用中文进行的讨论充满热情。
我利用自己对语言的完全无知,做我最喜欢的事情:观察和让我的心灵创造出自己的乐章。
捕捉此刻的诗意,理解事物的深刻意义,并借助他人的帮助,理解我自己生活的意义。
昀仔细地伸展,她的长辫子扫过地面。高大的舞者们往往对穿越她们的美视而不见。漂亮的玥琦以小步忙碌着,与露出耀眼笑容的嘉豪开玩笑,韵寒把那完美得有些不真实的面庞转向成都灰蒙蒙的天空,永恒的怀旧。燕子那张猫脸与春春开玩笑,后者把她拉入自己的仰卧起坐训练中,邓在角落里不声不响地伸展身体,同时向这些健身“苦力”投去有趣的目光。立在敲打他的电脑。我知道他对一切都充满好奇,尤其是现在的探戈,以及如何去找我的探戈朋友卡米洛,在卡利。
明天,我将开始与舞者们的拍摄。
我们彼此都很好奇。
明天会是个好日子。
我将为他们拍照。至少我会尝试,在大量的灰白光线下,从大窗户透过,俯瞰成都无限延伸的摩天大楼丛林。
我周围是二千万其他人,他们在完全漠不关心的情况下忙碌,而在这个工作室里,像世界上的许多地方一样,男女,大多数年轻人,感到有必要用身体来表达某些语言无法传达的人类状况。
我想到了法尤姆的肖像画,正面的美感,那种穿越世纪的“死者之眼”的生命冲动。
我的相机的数百万像素与蜂蜡、亚麻布、金箔和无花果木的力量相比,是多么微不足道!
但无论如何,我这样做,因为这是我的愿望和必要。
死者之眼对生者之眼,动作,舞动的能量,那些今天与我们对话的人。
他们明天会告诉我什么?会献上他们的真情实感吗?还是会给我最美的面具?
必须在场,抓住那真正的优雅时刻。
优雅,美丽和真理,将赐予我。
明天。
海蒂·马勒姆
成都,2024年6月
Il tourne son pinceau dans l’eau sombre de la pierre à encre. Concentré. Comme tout d’une pièce. Une immense feuille blanche recouvre toute la longueur du grand établi.
Il commence.Pas l’ombre d’une hésitation. Les caractères se forment à toute vitesse sans qu’il revienne sur leur tracé. L’encre d’un noir profond tâche la feuille de haut en bas et de droite à gauche. Cela va vite et c’est très beau.
J’observe le contact délié, délicat mais ferme de la pointe du pinceau avec la feuille.
Il ne s’interrompt que pour aller tourner vivement le pinceau asséché dans le bain d’encre.
Le coude à angle droit, sa main libre solidement appuyée sur le bois de la table, tout le corps penché sur l’ouvrage, il écrit.
Quoi de plus beau, me dis-je.
Bien sûr, le sens m’échappe. J’ai remis à une autre vie l’apprentissage du chinois et plus encore, de ses signes.
Mais qu’importe, je contemple la beauté et médite sur la danse du pinceau. Il n’y a pas de repentir. Comme dans la danse quelque chose s’écrit sans possibilité de retour. Le corps troue l’espace, inscrivant, ou pas, un geste de parole. Le calligraphe trace aussi dans l’espace intact du papier, un dit irréversible.
Tout est dans la manière, le style.
Selon Maître SHEN Zuo Chang, l’essentiel réside dans le contact entre la fine pointe de l’encre et la blancheur où elle se pose. C’est là, dit-il, que tout se joue.
Me vient à l’esprit ce sentiment tenace d’un glissement du temps qui m’habite depuis peu. Je suis du regard la glissade tarabiscotée de l’encre sur la neige de la page. Le temps dévale comme un skieur ivre, me dis-je, mais, ce faisant il inscrit, dans le blanc de la pente, comme l’énigme irréparable de chaque vie.
Qu’écrit-il, celui qui trace les signes? Certainement, rien de bas. Je vois qu’au fond ça n’est pas là l’important. C’est le geste d’écrire qui importe et vient organiser le monde en aspirant toute l’énergie vitale de cet homme âgé, plein d’une force résolue et dont l’œil brille parfois d’une gentille ironie.
Je suis venu le filmer. Il a de suite compris et accepté ma démarche. Il est d’évidence, pour lui, que danse et calligraphie ( j’ai failli écrire, chorégraphie.) sont liées. Tous les arts portés à leur sommet le sont.
C’est ce sommet qu’a visé sa vie durant et qu’a atteint, cet homme de petite taille, robuste, franc et curieux du bonhomme que je suis.
Où souhaiterais-je tourner?
Dans un lieu où il se sente bien.
Mais ici-même, dit-il en ouvrant les bras, dans cette petite échoppe située dans le quartier de Song XianQiao à Chengdu dans la province du Sichuan.
Hélas, pas assez de lumière!
Alors, dans deux jours, à GuangHan où se trouve mon musée, la Maison du livre BiLei.
L’endroit conviendra.
Vous voulez filmer comme Picasso, au travers d’une vitre?
Il fait référence au « Mystère Picasso » de Henri Georges Clouzot.
Plutôt, dans le vide et sans pinceau si vous y consentez.
Il rit.
Me voilà à pied d’oeuvre. J’ai pu filmer le maître au travail et comprendre un peu de son geste.
Ses étudiants, soucieux de tout faire pour m’aider et complaire à celui que, visiblement, ils admirent énormément, tendent une grande toile noire sur le haut mur d’un patio éclairé idéalement par un puits de jour.
Je sens que le maître est pressé. Ce sera une prise et pas deux, je le crains.
Il est déjà en action, légèrement de profil, gêné par l’oeil un peu obscène de la caméra.
Il est toujours aussi vif et précis, on peut presque distinguer, dans le vide de l’air, la marque élégante de son écriture.
Pas d’emphase, pas de simulacre, le geste juste et nécessaire.
Voilà comme l’on devrait être quand on danse, oublieux de soi-même, uniquement soucieux de tracer dans l’espace quelque chose qui vaille et que le corps délivre. Il puise dans l’animal en lui, l’intelligence d’écrire
Le geste est beau, entièrement donné, laissant le regard se porter sur lui sans qu’il l’entame.
Le puits de lumière gardera à jamais le secret de ce qui, en quelques minutes, s’est écrit, puisé dans la sombre spirale de l’énergie d’un homme à l’apogée de sont art.
Plus tard , il m’invite à l’étage où sont exposées ses oeuvres, des peintures, aquarelles, calligraphies dont la qualité et la force me laissent un peu abasourdi.
Maître SHEN Zuo Chang est aussi un grand peintre.
On voit qu’il a regardé les Modernes, on constate aussi qu’il puise abondamment dans sa propre culture si riche et si ancienne et dont à peu près tout nous échappe, à nous occidentaux qui barbotons dans nos « works in progress » et les eaux troubles de notre marché de l’art.
SHEN, lui, comme les sages, se fait discret et continue son oeuvre sans trop se soucier d’être de la partie, celle qui se joue dans le vide des ambitions.
Vers la fin d’une longue collection de peintures dont certaines sont un pur éblouissement, je tombe en arrêt sur la représention magistrale d’un archer visant le soleil. Sur le côté gauche de la toile, sont tracés des disques rougeoyants. Une force extraordinaire de simplicité émane de l’ensemble presqu’abstrait.
Peut-être la beauté appelle t-elle l’injure mais devant ce tableau, on recule poliment d’un pas.
Maître SHEN m’explique que la toile représente une scène de la mythologie chinoise. Pour sauver le royaume, le fameux archer Houyi, à la demande du roi Yao, éteignit neuf soleils sur les dix qui embrasaient la terre sous la puissance de leur feu.
C’est exactement ce qu’il fait, me dis-je. Il attaque ce trop de soleil qui consument le vivant. Dans la blancheur aveuglante de la page, il lance la flèche de son pinceau et puise dans la nuit de l’encre de quoi rendre moins insupportable la lumière qui révèle l’atrocité de notre monde.
C’est peut-être pour mieux endurer notre lucidité qui perçoit le soleil implacable du non-sens, que nous créons, que nous nous faisons, peintres, écrivains, danseurs, musiciens…
Voilà! je tiens mon titre : SHEN Zuo Chang, maître en calligraphie, peintre devant l’éternel …
L’homme qui tua neuf soleils.
Heddy MAALEM
中国之光
在两次仰卧起坐之间,春春发出了一种喉音,是蒙古的呼麦。我注意到,当他有点无聊或者因为排练拖得太久而不耐烦时,他就会这样唱。
我来到遥远的四川成都已经好几天了,一直在观看舞蹈家兼编舞家余爾格 排练,她是我多年的老朋友。
燕子和云在走廊里抽烟。悦琦、嘉豪和云汉,女生是李和邓,正在标记“聊斋志异”的一场戏,这是二哥最新创作,灵感来自17世纪中国作家蒲松龄的同名书籍。
这些“聊斋志异”中的五百多个故事,既充满了执着的幻想,也可以用这句话来概括:“世上不缺美女!为什么非要娶个鬼?”
二哥的改编充满了幻想,技艺高超,敏感,聪明,有点疯狂而且非常动感。
看着我朋友的愿景日益清晰,我感到非常高兴。
她充满了能量和决心,一心向着她的目标前进。她知道自己要去哪里,并且像所有的创造者一样,在怀疑的森林中跋涉,拨开各种障碍的重重植被,直到发现从项目诞生起她直觉上知道必须到达的地方。
设计师超超,作曲家星,剧作家洁,都默默地靠在工作室的墙边,帮助建构整个作品。
在成都这栋大楼的十六楼的排练室里,气氛轻松。
我观察着舞者们的动作,他们表面上似乎漫不经心,但实际上非常注意在需要他们的确切时刻出现。
他们的水平相当惊人,即使在中国,这也并不令人惊讶。
十多年前,我有幸在这里工作,认识并欣赏中国舞者。
我注意到他们取得了显著的进步。除了他们高超的技术水平,每个人都表现出极大的灵活性、成熟度和创造力。
最重要的是,他们的友善和谦虚。
我经常见到一些现代舞者,他们莫名其妙地觉得自己重要且优越,这种傲慢和自我感觉良好往往掩盖不了他们缺乏真正的才华。
与他们相比,在这里真是愉快得多,伴随着更好的公司。
作为优秀的专业人士,舞者们再次勾勒出他们动作的精准结构。
现在是90分钟完整排练的时刻。
二哥知道她需要删减和缩短,找出重复的部分,放弃它们,收紧她的叙述,使其在舞台上展现出集中能量的冲击力。
尽管我长期以来对这一过程已经习惯,但我仍然有些惊讶于当能量真正流动时,身体的变形。
不再是虚假的表演。
在有些闷热的工作室里,每个人都毫不保留地拿出最佳表现。
多么强大的能量和变形!
工作人员围在二哥周围,提出批评和意见。用中文进行的讨论充满热情。
我利用自己对语言的完全无知,做我最喜欢的事情:观察和让我的心灵创造出自己的乐章。
捕捉此刻的诗意,理解事物的深刻意义,并借助他人的帮助,理解我自己生活的意义。
云仔细地伸展,她的长辫子扫过地面。高大的舞者们往往对穿越她们的美视而不见。漂亮的悦琦以小步忙碌着,与露出耀眼笑容的嘉豪开玩笑,云汉把那完美得有些不真实的面庞转向成都灰蒙蒙的天空,永恒的怀旧。燕子那张猫脸与春春开玩笑,后者把她拉入自己的仰卧起坐训练中,邓在角落里不声不响地伸展身体,同时向这些健身“苦力”投去有趣的目光。李在敲打他的电脑。我知道他对一切都充满好奇,尤其是现在的探戈,以及如何去找我的探戈朋友卡米洛,在卡利。
明天,我将开始与舞者们的拍摄。
我们彼此都很好奇。
明天会是个好日子。
我将为他们拍照。至少我会尝试,在大量的灰白光线下,从大窗户透过,俯瞰成都无限延伸的摩天大楼丛林。
我周围是二千万其他人,他们在完全漠不关心的情况下忙碌,而在这个工作室里,像世界上的许多地方一样,男女,大多数年轻人,感到有必要用身体来表达某些语言无法传达的人类状况。
我想到了法尤姆的肖像画,正面的美感,那种穿越世纪的“死者之眼”的生命冲动。
我的相机的数百万像素与蜂蜡、亚麻布、金箔和无花果木的力量相比,是多么微不足道!
但无论如何,我这样做,因为这是我的愿望和必要。
死者之眼对生者之眼,动作,舞动的能量,那些今天与我们对话的人。
他们明天会告诉我什么?会献上他们的真情实感吗?还是会给我最美的面具?
必须在场,抓住那真正的优雅时刻。
优雅,美丽和真理,将赐予我。
明天。
赫迪·马勒姆
成都,2024年6月
LUMIÈRES DE LA CHINE
Entre deux séances d’abdominaux, Chun Chun émet un chant de
gorge, le Khoomii mongol. J’ai remarqué qu’il chantait ainsi
quand il s’ennuyait un peu ou qu’il s’impatientait parce que la
répétition trainait en longueur.
Cela fait plusieurs jours maintenant, depuis mon arrivée à
Chengdu dans le lointain Sichuan, que j’assiste aux répétitions de
la compagnie de Er Ge YU, danseuse et chorégraphe reconnue,
amie de longue date.
Yanzi et Yùn sont dans le couloir. Elles fument leur cigarette.
YueQi, JiaHao et YunHan pour les filles Li et Deng pour les
garçons marquent une des scènes de « Strange stories in a chinese
studio » la dernière création de Er Ge inspirée du livre éponyme
de PU Song Ling, écrivain chinois du 17e.
Ces « Chroniques de l’étrange » riches de quelques 500 contes
aussi obsessionnels que fantasmatiques pourraient se résumer par
cette citation : « Le monde ne manque pas de jolies filles ! Quelle
idée de vouloir épouser un spectre ! »
L’adaptation qu’en fait Er Ge, est fantasque, virtuose, sensible,
intelligente , un peu dingue et très mouvementée.
J’ai du plaisir à voir se cristalliser au fil des jours la vision de
mon amie.
Elle est, avec énergie et détermination, toute tendue vers son but.
Elle sait où elle va et, comme tout créateur, chemine dans la forêt
du doute, écartant l’épaisse végétation des obstacles de toutes
sortes, jusqu’à découvrir cet endroit où, depuis la naissance de
son projet, elle sait intuitivement qu’elle doit se rendre.
Chao Chao le designer, Xing le compositeur, Jie la dramaturge,
chacun rencogné contre un mur du studio travaille
silencieusement à aider à la construction de l’ensemble.L’atmosphère est détendue au seizième étage de cet immeuble de
Chengdu où se situe le studio de répétition.
J’observe le manège des danseurs et comme, sous une
désinvolture apparente, ils sont attentifs à être présents au
moment exact où l’on a besoin d’eux.
Leur niveau est assez extraordinaire même si en Chine, il n’a rien
de surprenant.
J’ai moi même , il y a plus d’une décennie, eu la chance de
travailler ici, de connaître et apprécier les danseurs chinois.
Je note les progrès remarquables qui ont été réalisés. En plus de
leur haut niveau technique, la disponibilité, la maturité et la
créativité de chacun.
Surtout, et c’est ce qui m’importe le plus, leur gentillesse et leur
modestie.
j’ai souvent été témoin de la morgue un peu dédaigneuse de
certains danseurs contemporains qui, on ne sait pour quelle
étrange raison, semblent tout pénétrés de leur importance et de
leur supposée supériorité. C’est insupportable d’arrogance et
marque la plupart du temps un manque tragique de réel talent que
ne parvient pas à masquer une assurance de façade consolidée
par un entre-soi dédaigneux.
Qu’il est bon d’être ailleurs et en meilleure compagnie.
En bons professionnels, les danseurs esquissent pour la énième
fois l’architecture précise de leur mouvements.
C’est le moment du filage des 90’ .
Er Ge sait qu’elle devra élaguer et raccourcir, repérer les redites,
y renoncer, contracter son propos afin qu’il délivre, sur scène,
l’impact de son énergie rassemblée.
J’assiste, toujours un peu médusé malgré ma longue habitude, à
la métamorphose des corps lorsque l’énergie circule vraiment.
On ne fait plus semblant.
Dans la chaleur un peu étouffante du studio, chacun donne le
meilleur de lui même sans rien économiser.
Quelle énergie et quelle transfiguration!Le staff se précipite autour de Er Ge pour formuler ses critiques et
livrer ses impressions. La discussion en chinois est passionnée.
Je profite de mon ignorance totale de la langue pour faire ce que
j’aime le plus, observer et laisser mon esprit inventer le chant qui
lui viendra.
Saisir la poésie du moment, comprendre le sens profond des
choses et, avec un peu de chance, grâce aux autres, celui de ma
propre vie.
Yùn s’étire consciencieusement, sa longue tresse balaie le sol. Les
grandes danseuses sont souvent insouciantes de la beauté qui les
traverse. La jolie YueQi s’affaire à petits pas en plaisantant avec
JiaHao à l’éblouissant sourire, YunHan tourne un visage à la
perfection un peu irréelle vers la nostalgie du ciel
sempiternellement gris de Chengdu. Yanzi au visage de chat
blague avec Chun Chun qui l’a enrôlée dans ses séances
d’abdominaux, Deng s’étire discrètement dans son coin tout en
tournant des regards amusés vers les forçats du fitness. Li tapote
sur son ordinateur. Je sais qu’il est curieux de tout et surtout, en
ce moment, du Tango et comment il pourrait aller rejoindre mon
ami tanguero, Camilo, à Cali.
Demain, je commence le tournage avec les danseurs.
Nous sommes curieux les uns des autres.
Demain sera un bon jour.
Je ferai leur portrait. J’essaierai en tout cas, dans la lumière
abondante et un peu grisâtre de la grande baie vitrée qui ouvre
sur la monstruosité infinie des gratte-ciels de Chengdu.
Je suis environné de vingt millions d’autres qui vaquent dans
l’indifférence absolue à ce qui se trame dans ce studio où, comme
un peu partout dans le monde, femmes et hommes, jeunes pour la
plupart, éprouvent la nécessité de dire avec le corps quelquechose de leur humaine condition que les mots échouent à
prononcer.
Je pense aux portraits du Fayoum, à leur beauté frontale, à ce
« regard des morts » dont la pulsion de vie nous atteint au travers
des siècles.
Comme les millions de pixels de ma caméra pèsent peu comparés
à la force intacte de l’encaustique et du lin, des dorures et de la
cire d’abeille, du bois de figuier sycomore!
Qu’importe, je fais le geste parce que tel est mon désir et ma
nécessité.
Regards des morts pour regards de vivants, gestes, mouvements,
énergie de ceux qui dansent et nous parlent, aujourd’hui.
Que me diront-ils demain? Feront-ils don de leur intime vérité?
Ou bien m’offriront-ils le mensonge de leur plus beau masque?
Il faudra être là et tout prendre, saisir au vol la vraie grâce du
moment.
Grâce, beauté et vérité qui me seront données.
Demain.
Heddy MAALEM
Chengdu, Juin 2024
舞者没有什么是容易的。
例如,试镜常常是一场令人心碎的争斗。
然而,有一个明显的事实似乎每个人都忽视了:雇佣雇佣兵就像在自己家中引入战争。
没有信念地投身其中无疑会杀死那些你声称要为之而活的东西。
理想的情况是,在可能的情况下,让亲和力发挥作用。
跳舞不是每个人都能做到的。
任何声称要跳舞的人至少要了解自己的身体,并努力理解其结构。
但最重要的是,最好是像美国人所说的那样,“天生的”。
一种天赋,一种存在感。
天生的。
即使有些人说相反的话,我一直观察到一些人出现时,其他人却在努力存在,大多数人根本不在自己的位置上。
我记得在巴塞罗那的莱亚。
她迟到了,跑着去赶上已经在工作的小组。加州冲浪者的步伐,同样阳光下的显而易见。
还有索莱,在荷兰的光线中,像一团野火和苍白的火焰,孤独地存在,
即使四十个舞者的喧嚣也无法掩盖她那种强烈、凶猛而神秘的自我存在。
然后是尔歌,最后。
我在中国。我记得。
我们离我版《春之祭》的中国首演还有一周时间。
四川舞团的一位领导,那个抽烟太多,用沙哑声音说话的人:
你必须看一个女孩,她很厉害。
一手拿着香烟,一手拿着电话,尽管我拒绝在这么短的时间内加入新成员,他还是坚持。
我最终还是屈服了。
我们在剧院排练。
一个充满能量和优雅的小个子女孩轻快地跳上了舞台。
在一个瓷器般的身体中,像老虎般的跳跃,既圆润、优雅又强壮,既低调又具有非凡的运动能力。
真是个出现!
多年过去了。尔歌一直为我跳舞,始终才华横溢,谦逊,友善和非常专业。
她在欧洲和亚洲都有着成功的职业生涯。
如今,她已经成熟,具有一种严肃而深沉的美。
描述她的舞蹈对我来说是不可能的。
那是一种穿透你并让你惊讶的感觉。
一个耐心的小个子女孩保留地站在你面前。
舞蹈抓住了她,那是一场美的爆发。我的意思是,这种矛盾的扭曲在于你所看到的和应该是的之间,每一秒都在变化,几乎不是人类的活力。而且它既慢又快,紧张,内敛,给予,放弃,释放和呈现,但仍然保守秘密,埋藏在自己体内,像一个宝藏,一道光,一个古老的天朝帝国的珠宝。
需要多少努力,决心,勇气和深刻的直觉,年复一年,在近视的观众和极端的评论家面前,找到力量奋斗,让自己体现出如此古老文化的丰富,我们的文化相比之下几乎刚刚诞生。
尔歌在中文中的意思是公主,还有其他我忘记的意思。
她的父母为她取了一个好名字,让她继承了一长串在用身体思考和表达艺术方面的女性和男性的传统。
这位舞者像是石洲的书法,他是森林画笔的大师。圆润又棱角分明,狂草般地不可思议的高超技巧。
她也是墨,那在她胸腔中旋转的烟黑色。她的心就像一块墨石,碾磨木材来书写每一个真实的动作。
今天,有一颗星星在那边闪耀,但我们看不见,我们不再仰望天空,不再知道曾经连接大地和天穹的事物,我们接受了没有美的生活。
我记得柯克·道格拉斯在扮演那个和他的马威士忌一样野性的牛仔时说的台词:“我无法想象世界会变得更好。像你一样,我看到它在变得更糟。我看到自由像一条狗一样被扼杀,无论我目光所及之处。我看到我自己的国家被丑陋所淹没,…”
一部好电影,一部杰作。它让我想起了这位骑手和他的金色马匹的画面,像是一种美丽被威胁的力量,冲破了禁止古老荒野的铁丝网。
尔歌让我想起了贯穿整部电影的那种美丽的力量。人类在试图逃离这个世界压迫性的叙述。
这位舞者是一位孤独的战士,低调而温柔,毫不犹豫地射出她美丽的箭矢。
她永远不会放弃她那高贵且必要的孤独,但如果你遇见她,她的舞蹈会穿透你。
赫迪·马勒姆
Rien n’est facile pour les danseurs.
Les auditions, par exemple, sont souvent une foire d’empoigne navrante.
Il y a pourtant cette évidence qui semble échapper à chacun : engager des mercenaires c’est porter la guerre dans sa propre maison.
S’engager sans conviction tue très sûrement ce pour quoi l’on prétendait vivre.
L’idéal, quand cela est possible, est de laisser jouer les affinités.
Danser n’est pas à la portée de tout le monde.
La moindre des choses pour qui y prétend, c’est connaître son corps, avoir fait l’effort d’en comprendre la structure .
Mais surtout, il vaut mieux être ce que les américains appellent « a natural ».
Un talent. Une présence aussi.
Innés.
Même si d’aucuns affirment le contraire, j’ai toujours bien observé que certains apparaissent quand d’autres peinent à exister, la plupart n’étant, tout bonnement, pas à leur place.
Je me souviens de Laïa à Barcelone.
Elle était en retard et courrait pour rejoindre le groupe déjà au travail. La foulée d’une surfeuse californienne, l’évidence du même soleil.
Et Soile, flamme sauvage et livide dans la lumière de Hollande, comme seule,
sans que l’agitation de quarante danseurs parvienne à occulter cette intense,
féroce et mystérieuse présence à elle même.
Et puis Er Ge, enfin.
J’étais en Chine. Je me souviens.
Nous étions à une semaine de la première de la version chinoise de mon Sacre du printemps.
Un des cadres de la compagnie du Sichuan, celui qui fumait trop et parlait avec une voix de rogomme :
Tu dois voir une fille, elle est très forte.
Cigarettes dans une main, téléphone dans l’autre, il insistait malgré mon refus d’intégrer un nouvel élément en si peu de temps.
J’ai fini par céder.
Nous répétions au théâtre.
Une petite boule d’énergie et de grâce a bondi souplement sur le plateau.
Un bond de tigre dans un corps de porcelaine, rond, gracile et puissant à la fois, discret et au rayonnement athlétique extraordinaire.
Quelle apparition!
Les années ont passé. Er Ge YU a dansé pour moi, toujours avec talent, humilité, gentillesse et grand professionnalisme.
Elle mène une carrière réussie en Europe et en Asie.
La voilà accomplie, mure, d’une grave et profonde beauté.
Dire comme elle danse me parait impossible.
C’est une sensation qui vous traverse et vous surprend.
Une petite jeune femme au corps patient se tient devant vous avec réserve.
La danse la prend, et c’est une explosion de beauté. Je veux dire, cette torsion contradictoire entre ce que vous voyez et qui devrait être et qui pourtant n’est pas et qui change chaque seconde avec une vivacité à peine humaine. Et c’est lent et puis rapide, tenu, contenu et, donné, abandonné, délivré et livré et pourtant gardé secret, enfoui en soi, comme un trésor, une lumière, un bijou ancien de l’Empire Céleste.
Il en faut du travail, de la détermination, du courage et de l’intuition profonde, année après année, devant des publics myopes et des critiques polarisés, pour trouver la force de lutter et faire advenir en soi toute la richesse d’une culture si ancienne, que la nôtre, à côté, semble à peine née.
ER Ge en chinois veut dire, Princesse et d’autres choses aussi que j’ai encore oubliées.
Ses parents l’ont bien nommée, la faisant héritière d’une longue dynastie de femmes et d’hommes passés maîtres dans l’art de penser avec et par le corps.
Cette danseuse ressemble à l’écriture de Shi Zhou, grand calligraphe et maître de la Forêt des pinceaux. Arrondie et anguleuse, cursive folle, incroyablement virtuose.
Elle est l’encre aussi, ce noir de fumée qui tournoie dans sa poitrine. Son cœur est comme une pierre à encre qui broie le bois du noir nécessaire à l’inscription de chaque geste vrai.
Aujourd’hui, une étoile brille là bas mais nous ne la voyons pas, nous qui ne regardons plus le ciel, qui n’avons plus la moindre idée de ce qui reliait jadis la terre au firmament, nous qui acceptons de vivre en l’absence de la beauté.
Je me souviens de la tirade de Kirk Douglas, du temps qu’il incarnait ce cowboy aussi sauvage que sa jument Whisky : « Je n’imagine pas le monde s’améliorer. Comme toi, je le vois plutôt empirer. Je vois la liberté qu’on étrangle comme un chien, partout où mon regard se pose. Je vois mon propre pays crouler sous la laideur, … »
Un beau film, un chef d’oeuvre. Il me vient à l’esprit parce que je me souviens de ce cavalier uni à son cheval doré comme l’image d’une beauté menacée forçant les barbelés interdisant les anciennes plaines sauvages.
Er Ge me fait penser à cet élan magnifique qui traverse tout le film. La lutte d’une humanité qui tente d’échapper à l’écrasant discours du monde.
Cette danseuse est une guerrière solitaire, discrète et douce et qui décoche sans trembler les flèches vives de sa beauté.
Elle n’abandonnera jamais sa haute et nécessaire solitude mais si vous la croisez, sa danse vous transpercera.
HEDDY MAALEM
在马来西亚八打灵再也的一个公园里,我遇到了李唐国大师。
他正在观察他的一些学生练习“推手”,这是太极拳的一种练习,学员们互相推搡,试图占据优势。
没有技巧,李大师说,只需要练习,这样才能学会。
在这个早晨,太阳准备把美丽的吉隆坡的巨大心脏烤熟,天气已经开始变得非常热。
公园很舒服。很少有散步的人。在城市不停的喧嚣中有一点安宁。
李大师谈话很多且自由。他不扮演萨满的角色。
只有他的眼睛沉默并注视着你。
他看起来比实际更高。这是因为他瘦削。他高挑且平静。外表脆弱但内心强大。
这正是我们应该的样子。
我们应该无所畏惧地从自己身上冲出去,毫不畏惧地将我们的脆弱与世界的坚硬对抗。
李大师没有神秘感,他不做作,他走来走去,笑得很多,给他的学生们提供好的建议,他们出汗并且也因他们的努力而笑,在不久将成为一个蒸汽室的地方。
我从远处观察这种练习的谦逊。我看到,在距离我命运所在地方几千公里的地方,有人们试图通过练习战斗的艺术来理解自己的黑暗。
我曾经长时间做同样的事情。
我把手放进了阴影的口中。
我感受到了里面旋转的能量。
首先是恐惧,李大师对我说。这是我们必须战胜的。这是我们必须理解的。实践才能真正做到这一点。
这个人很友善和善良。
我感觉他通过我对他来说的奇怪陌生人,感知到了一个聆听的人,他也以自己的方式,利用与他人的斗争来避免自我毁灭。
我想拍摄你的动作的本质,我对李大师说。
拍什么?我的太极没有形态。
那么,让我们拍摄无形的东西。我会尽力而为。
为什么不呢?
学生们推搡出汗,战斗和躲避,体验和失败。
对方仍然不妥协。这是一扇紧闭的门。没有钥匙。锁臂技不管用。蛮力在头内外制造了一堵墙。
对方当然是钥匙,但如何打开呢?
他来了。
我们在拉姆利哈桑工作室,位于布城高地,工作室的主人Sabera优雅而坚定地管理着它。
他穿着一套简单而丝滑的太极服。他像往常一样平静,并对摄像机的存在感到有些不安。
这个人不喜欢被注视,也不喜欢被困在任何该死的盒子里。
他出于同情并可能因为某种好奇心同意了,看我将如何摆脱可能很快变成的困境。
我拍摄他,首先站在大窗户的斜光中,从那里可以看到被恶魔般的污染形成的雾气遮蔽的宏伟清真寺。
他勾画出一些动作。我只看到他瘦长的剪影,仿佛出自某个热带的贾科梅蒂之手。
他似乎有点心不在焉,不知道该给摄像机那只独眼和贪婪的眼睛什么。
他所激发的东西不再可见。一切都发生在一个已经走到成为道路的人的内心。
他的身体轻盈而庄重,是一个疑问。没有其他东西是可以察觉的。
我发现自己在拍摄这个问题。
我习惯了。
他是否感到无助?仿佛失去了自己的存在感,他的身体在空间中优雅地勾勒出一种形式的本质。他既精确又模糊。有点走神,但却毫不费力地吸引了对方的注意。
我提议他坐下。
为了做什么?他问。
同样的事情。
你是个优秀的斗士,他半笑着对我说。
我在拍摄。
我看不到任何东西。我只感受到观众沉默的敬意。
在这个坐在椅子上的庄重的男人的微小动作中,发生了一些重要的事情。
我们结束了。他站起来,显然松了一口气。我觉得这一切都不适合他,我几乎为把他置于这种不适合他的境地感到后悔。
他却微笑了。
问题总是恐惧,他对我说。
我有点愣住了。他似乎在重述我们最近在公园的对话。
被拍摄对他来说是一个无关紧要的事件。
不能有防备。采取防备姿态,已经表现出恐惧。必须安静地保持在自己的轴线上,观察对手在自己的愤怒中筋疲力尽。
我同意。他是对的。最终我们理解了战斗的唯一意义在于必要的放弃,同时保持在对抗中建立的竖直。
但为什么他如此坚持这一点?
他礼貌地离开了。我有些困惑。我预感错过了一些东西。
我理性化。大师可能累了。我不应该坚持拍摄他。
那天晚上,当我观看这些画面时,我明白了。
在我找到一首我认为能够揭示手势简单性所隐藏的东西的音乐的同时,我领悟到我在忙于抓住某种难以言喻的东西时得到了的教训。
一个人不断地对我讲话,虽然我忙于拍摄但没有停下来听他。
他在向我展示那未完成的东西,那我们无法达到但却仍在手势中存在的东西,那简约的形式,那纯粹的东西,那我们有时用一生追求的东西。
他展示了一个完整的人,仅仅是他自己,太极大师和一个美丽的花朵盛开的动作园丁,每一个动作如同不断在颤抖的手中绽放的简单花朵。
是的,必须战胜恐惧,面对死亡时,必须站直,毫无防备地唱出我们的动作之歌。
没有之前,没有最初的意图。只有去和想要的东西。
必须现在,在“开放”中活着。
还必须看见,听见,聆听。不被自己的忙碌所欺骗。
我写信感谢李大师的帮助。他祝我好运,并发来了一段庄子的文字,这位流浪的大师以他的神游著称。
它讲述了一个人在湖中心的船上的故事。题目是,《空船》。
这就是所谓的真人,一艘在道的广袤空虚中的空船。
我想起李大师和他无形的太极。
那些不幸想要与他对抗的人自讨苦吃。
他们让我奇怪地想起那些走进遥远西部酒吧的顾客。门扇为让他们通过而摆动,它不抵抗,而是平静地在铰链上转动。每个人走进酒吧,找到他们所寻找的东西。有些人忘记了,另一些人,漂亮酒吧女郎的虚幻陪伴,许多人,带来的暴力,还有一些,他们无法淹没的悲伤。很少有人有足够的智慧去遇见那些凭一点运气和洞察力可能找到的东西:信仰,爱,希望,甚至,友谊。
李唐国,八打灵再也的普通居民,太极拳大师和庄子的智慧读者,通过柔顺地面对我直接的要求,使我的船轻了一些,也让我明白,要到湖上去然后穿越世界的大河,
首先需要升起自己的帆,然后,敢于将它交给风。
赫迪·马勒姆 – 吉隆坡,2023年6月
C’est dans un parc de Petaling Jaya en Malaisie que j’ai rencontré maître Tangkok Lee.
Il observait certains de ses élèves qui pratiquaient le « pushing hands », un exercice du Taï Chi chuan où les couples se poussent en essayant de prendre l’avantage.
Il n’y a pas de technique, dit maître Lee, il faut pratiquer, c’est ainsi que l’on apprend.
Il commence déjà à faire très chaud dans cette matinée où le soleil se prépare à cuire le coeur immense de la belle Kuala Lumpur.
Le parc est agréable. Quelques rares promeneurs. Un peu de quiétude au sein de l’incessante agitation de la ville.
Maître Lee parle beaucoup et librement. Il ne joue pas au chaman.
Ses yeux seuls se taisent et vous voient.
Il semble plus grand qu’il n’est en réalité. Cela est du à sa minceur. Il est élancé et calme. Frêle d’apparence et fort intérieurement.
C’est ainsi que nous devrions être.
Nous devrions nous élancer hors de nous même, sans peur d’opposer notre fragilité à la dureté du monde.
Maître Lee ne fait pas de mystère, il ne pose pas, il va, rit beaucoup, dispense de bons conseils à ses étudiants qui transpirent et rient aussi de leurs efforts dans ce qui deviendra bientôt une étuve.
J’observe de loin la modestie de cette pratique. Je vois, à des milliers de kilomètres de l’endroit où la destinée m’a placé, des hommes tenter de comprendre leur propre obscurité en pratiquant l’art de combattre.
J’ai longtemps fait la même chose.
J’ai mis la main dans la bouche d’ombre.
J’ai senti l’énergie qui y tournoie.
C’est d’abord la peur, me dit maître Lee. C’est elle qu’il faut combattre. C’est ce qu’il faut comprendre. C’est la pratique qui permet de le faire réellement.
Cet homme est sympathique et bienveillant.
Je sens qu’il perçoit, au travers de l’étrange étranger que je suis pour lui, quelqu’un qui écoute et qui, lui aussi, à sa manière, a utilisé la lutte avec autrui afin d’éviter sa propre destruction.
J’aimerais filmer l’essence de votre mouvement, dis-je à maître Lee.
Que filmer? Mon Taï Chi n’a pas de forme.
Alors, filmons ce qui est sans forme. Je ferai de mon mieux.
Pourquoi pas?
Les étudiants poussent et transpirent, luttent et esquivent, éprouvent et échouent.
L’autre reste intraitable. C’est une porte close. On n’en a pas la clef. Clef de bras, ne marche pas. Force brute fabrique un mur dedans et hors la tête.
L’autre est la clef bien sûr mais comment ouvre t-on?
Il est venu.
Nous sommes au studio Ramli Hassan, sur les hauteurs de Bukit Tunku, que sa propriétaire, Sabera, dirige avec élégance et fermeté.
Il porte une tenue de Taï Chi Chuan, simple et soyeuse. Il est calme comme à son habitude et un peu gêné par la présence de la caméra.
Cet homme n’aime ni être regardé ni emprisonné dans aucune maudite boite.
Il consent par empathie et peut-être à cause d’une certaine curiosité pour la façon dont je vais me tirer de ce qui peut vite devenir, un mauvais pas..
Je le filme, d’abord debout dans la lumière oblique de la grande fenêtre d’où l’on aperçoit la grande mosquée au travers de la végétation et du brouillard formé par la pollution démoniaque.
Il esquisse quelques gestes. Je ne vois que sa silhouette longiligne comme sortie des mains de quelque Giacometti tropical.
Il semble un peu absent, ne sachant que donner au regard borgne et avide de la caméra.
Ce qu’il met en mouvement n’est plus saisissable. Tout se passe à l’intérieur
d’un homme qui a cheminé jusqu’à devenir la voie même.
Son corps léger et grave est une interrogation. Rien d’autre n’est perceptible.
Je me retrouve à filmer la question.
J’ai l’habitude.
Est-il désemparé? Comme privé de sa propre présence, son corps trace gracieusement dans l’espace l’essentiel d’une forme. Il est précis et vague à la fois. Un peu ailleurs, il réclame cependant et sans effort la présence de l’autre.
Je lui propose de s’assoir.
Pour quoi faire, demande t-il.
La même chose.
Vous êtes un excellent combattant me dit-il dans un demi sourire.
Je filme.
Je ne vois rien. Je ne ressens que le silence recueilli des quelques personnes qui assistent au tournage.
Quelque chose d’important se passe dans le presque rien des gestes de cet homme digne, assis bien droit dans le fauteuil.
Nous finissons. Il se lève, visiblement soulagé. Je sens que tout cela n’est pas pour lui et je m’en veux presque de l’avoir mis dans une situation qui ne lui convient pas.
Il sourit pourtant.
Le problème est toujours la peur, me dit-il.
Je suis un peu interloqué. Il semble reprendre notre récente conversation dans le parc.
Être filmé a été pour lui un non évènement.
Il ne faut pas avoir de garde. Se mettre en garde, c’est déjà manifester de la peur. Il faut rester tranquillement sur son axe et observer son adversaire s’épuiser dans sa propre rage.
J’acquiesce. Il a raison. On finit par comprendre qu’il n’ y a d’autre sens au combat que celui de son nécessaire abandon tout en conservant la verticale construite dans l’adversité.
Mais, pourquoi insiste t-il tant sur ce point?
Il nous quitte poliment. Je reste un peu perplexe. J’ai le pressentiment de passer à côté de quelque chose.
Je rationalise. Le maître est sans doute fatigué. je n’aurais pas du insister pour le filmer.
Le soir même, en visionnant les images, je comprends.
En même temps que je trouve la musique qui, selon moi, révèle ce que dissimule la simplicité des gestes, je perçois la leçon qui m’a été donnée alors que je m’affairais à saisir je ne sais quel ineffable.
Un homme s’adressait à moi avec insistance et n’avait cessé de le faire. Il me me voyait et me faisait signe.
Caché derrière ma caméra, je ne l’écoutais pas.
Il me montrait pourtant, la chose inaboutie, ce à quoi l’on ne parvient pas mais au geste qui demeure pourtant, à la forme dépouillée, à l’épure, ce à quoi l’on aspire et à quoi, parfois, on a voué sa vie.
Il me montrait tout un homme et rien que lui, maître et jardinier d’une splendide floraison de gestes comme autant de fleurs simples sans cesse écloses au creux des mains tremblantes.
Oui, c’est la peur qu’il faut combattre et devant le mourir, il faut se tenir droit, sans garde et chanter notre chanson de gestes.
Il n’ y a pas d’avant, il n’ y a pas d’intention première. il y a quelque chose qui va et qui veut.
Il faut être vivant, maintenant, dans l’ Ouvert.
Il faut voir aussi et entendre, écouter. Ne pas être la dupe de son affairement.
J’ai écrit à maître Lee pour le remercier de sa disponibilité. En me souhaitant bonne chance, il m’a envoyé un texte de Chuang Tzu, le maître vagabond aux randonnées extatiques.
Cela parle d’un homme sur une barque au milieu d’un lac. Le titre est, La Barque Vide.
C’est ainsi qu’est l’homme véritable, une barque vide dans le vide immense du Tao.
Je repense à maître Lee et à son Taï Chi sans forme.
Ceux qui ont la malencontreuse idée de s’opposer à lui en sont pour leurs frais.
Ils me font bizarrement penser à ces clients qui poussent la porte du saloon dans un lointain Far West. La porte bat pour les laisser passer, elle ne résiste pas mais pivote tranquillement sur ses gonds. Chacun entre dans le bar et y trouve ce qu’il est venu chercher. Certains l’oubli, d’autres, l’illusoire
compagnie de la jolie barmaid, beaucoup, la violence qu’ils ont amené avec eux, d’autres encore, leur tristesse impossible à noyer. Peu d’entre eux possèdent suffisamment d’intelligence pour rencontrer ce qu’il est pourtant possible de trouver avec un peu de chance et de discernement : la foi, l’amour,
l’espérance et même, l’amitié.
C’est en pivotant souplement devant ma demande frontale que Tangkok Lee, simple habitant de Petaling Jaya, maître de Tai Chi Chuan et sage lecteur du grand Chuang Tzu, m’a permis d’un peu alléger ma barque mais aussi de comprendre que, pour aller sur le lac puis traverser le grand fleuve du monde,
il fallait tout d’abord, tendre sa propre voile et puis, oser la donner au vent.
Heddy Maalem – Kuala Lumpur, Juin 2023
他的舞蹈超越了一切束缚。人们试图将其归类,锁在狭小的惯常之中,以便不再讨论它。然而,我们应该反其道而行之,并坚定地说:
这位舞者是一位大师。他掌控自己,掌控自己的每一个动作,如同箱外的天使或恶魔,无法被束缚。毫无疑问,他是充满灵性的。他的动作是在对时间的恰当延展中实现的,捕捉到理解之后的感知,节奏和空间,以及我们目光的随机性,和我们几乎无法真正集中注意力的缺陷。
他无视主流的风向,只在意那些重要的事物:黑暗、时空、能量——这些源自我们内心的力量,被他的动作带到明处。我们必须钦佩这样一个人,他远离当代的混乱,进行真正的战斗,不断地为美而战。
在寂静中,他的舞蹈化作音乐。他在平静中移动,孕育出“事物的旋律”。这是一种稀有的景象!
我想到了我们当下的荒谬,那些无谓的扭动,这些苍白却又聚集支持的动作。这种急于展示的喧闹,显然,几乎没有什么可展示的。他远离这种争夺。他专注于身心的修炼,他柔软、伸展、清洗和呼吸,最重要的是,他倾听内心涌向表面的脉动,那些他辨识、运用、理解并升华的杂乱无章的冲动。
他精确而清晰,他的一切,都是对当下的敏锐意识,对有机运动的尊重,通过身体理解智慧的来源。在他身上,舞蹈动作和日常行为之间的界限是模糊的,仿佛只需稍微调整焦距,舞蹈便会立刻显现,并奢华地展开。
或许,谈论舞蹈是徒劳的,但我们必须自由地表达我们所感知到的珍贵与罕见,以便可能触及那些已然消失的东西。看着这个人,我越来越觉得,他体现了每个舞者应追求的目标——舞动的自然显现,身体作为艺术品的存在。
这不是自恋,只是一个奉行自律、深刻理解肢体运动、甚至高超技巧与舞蹈区别的人。舞蹈不仅是一种思想,更是一种运动的诗学。
成为白纸和那划线的手,成为光明与黑暗,成为在永恒当下的敏感动物,成为冥想来自深渊黑暗的灵魂。消失以体现存在,先于语言却有所表达。
“这是世界之夜向每个人走来。”黑格尔如是写道。这句话在看他舞蹈时浮现于脑海。他的动作如同投下的阴影。他源自日本的“黑暗之舞”——舞踏。他舍弃了舞踏的过度,保留了其深度,意识到一个充满剧痛的世界,并渴望将其具象化。
他舞动我们内心行走的夜晚。他的双脚在他决定停下的地方完美地停住。他的眼睛平静地注视着前来欣赏他表演的观众。他的目光是第一个动作,空间打开,表演可以开始了。
事实上,我们在那里,观察彼此,在光影之间聚集。黑暗降临,召唤着寂静,接着光明回归,我们默默无言,在阴影中窥探,像迷惑的森林动物。我们对自己依然是个谜,需要不断地呈现,以感知其轮廓。
表演结束。黑幕再次降下,直至我们的语言和白昼的谎言中重现的喧嚣。舞蹈发生在两夜之间。我们留下了印记。
他展开他的动作,突然停下。那条线穿过他,如同画家在画布上那霸气的笔触。一个无悔的动作。这让我们无言。无尽的喧哗终于停止。我们在谜团前无言以对,终于在狮身人面像前静止,这块或许曾经移动的动物石。
他身上有种矿物质的感觉。让我想起曾经的一位合气道大师。我曾看他从道场入口走来,柔软地跪下,突然完全静止,成为一块石头,面对我们,面对我们对身体和它所含深渊的无知。这是我的第一课。不动存在,而石头可以说话。
的确,看到一个人舞蹈是罕见的。大多数时候,总有些不对劲。我们无法确切说出是什么。仿佛是一种模拟,一种或多或少复杂的肢体动作,忽略了语言的必要性。“一场毫无意义的舞蹈。”借用查布里耶的话。于是我们转向自然,那从舞蹈所寻之地运动的动物,那在风中摇曳的树枝,以手臂和手的智慧轻柔地移动空间。
大自然引导我们找到正确的动作,即无为,耐心聆听,真正的生机,那和谐的歌声,像无尽的生活和默默接受死亡的一切所发出的声音。
然后,是闪电般的迅捷,纯粹的喜悦从波浪中跃起。最后的宁静,黑暗前的寂静,生者准备“可怕之夜”的那一刻。
他如同希诺普的第欧根尼,带着他的舞蹈,如同那人带着他的灯,在耀眼的日光中行走。这就是这位舞者带给我们的。他站在我们面前,挺直身姿,勇敢地承担起我们忽视的负担。这个负担是我们深刻的人性和构成其非人黑暗,这正是赋予舞蹈真实重量的因素。
没有这些,何必呢?不如移开视线。值得观赏的太多了,孩子们的优雅,那远处草地上奔跑的马,那心爱的女人走向我们的步伐,世界上所有赐予我们的舞蹈,以及伟大的舞者李瑞强,为我们这些无知夜晚俘虏者继续舞动的珍宝。
Sa danse échappe. On voudrait lui attribuer un style, l’enfermer dans la boite étroite du déjà-vu, la caser pour mieux n’en pas parler.
Il faut aller là-contre et affirmer :
Ce danseur est un maître. Maître de lui même, de son propre mouvement, ange ou démon hors de la boite, que l’on ne peut saisir.
Spirituel, à n’en pas douter.
Son geste s’inscrit dans la juste dilatation du temps nécessaire à la perception après avoir compris, le rythme et l’espace mais aussi l’aléatoire de nos regards, notre quasi inaptitude à prêter une vraie attention.
Il danse en se moquant bien des vents dominants, se souciant de ce qui compte, la ténèbre, l’espace-temps, l’énergie aussi, c’est à dire ce qui va et veut depuis notre nuit et que le geste porte au jour.
Il faut admirer celui qui, loin de l’enchevêtrement des pagailles contemporaines, mène un vrai combat, cette guerre sans cesse à livrer ; pour la Beauté.
Dans le silence, sa danse se fait musique.
Il se meut dans le calme, donnant naissance à une « mélodie des choses ».
Voilà la rareté!
Je songe à nos ridicules actuels, à ces vaines contorsions, ces mouvements exsangues pourtant rassembleurs de suffrages.
Cette bousculade vers la visibilité quand il y a, à l’évidence, si peu à montrer.
Lui, se tient loin de la ruée. Il travaille corps et âme. Il assouplit, il étire, il nettoie et respire et surtout, il écoute ce qui, du dedans,
monte vers la surface, cet ensemble de pulsions désordonnées qu’il discerne et utilise, comprend et sublime.
Il est précis et net, tout, chez lui, est, conscience aiguë du moment, respect du mouvement organique, compréhension par le corps de la source de sagesse.
La frontière entre le mouvement dansé et ses gestes quotidiens est ténue, comme s’il n’avait qu’à resserrer un peu la focale pour que, d’un coup, la danse soit là et, somptueusement, se déploie.
Il est sans doute vain de vouloir parler de la danse mais il faut dire librement ce que l’on perçoit et qui apparait comme précieux et rare pour, peut-être, effleurer ce qui, déjà, a disparu.
Plus je regarde cet homme et plus je me dis qu’il incarne ce à quoi tout danseur devrait tendre, l’évidence du mouvement dansé, le corps pris comme oeuvre d’art.
Rien de narcissique en cela, simplement quelqu’un qui s’est livré à une ascèse et qui a profondément compris la différence entre gesticulation plus ou moins inventive, mouvement, quand bien même virtuose, et danse, entendue, non seulement comme une pensée mais une poétique du mouvement.
Être la page blanche et puis la main qui trace, être la lumière et le contraire du jour, être animal sensible dans l’éternel présent et l’âme qui médite le noir qui vient du gouffre.
S’absenter pour incarner la présence, être avant la parole et pourtant, s’adresser.
« C’est la nuit du monde qui s’avance ici à la rencontre de chacun » a écrit Hegel. La phrase vient à l’esprit quand on le voit danser. Son geste est une ombre portée. Il est issu de cette « danse des ténèbres » le Butô japonais. Il en a abandonné les outrances pour en garder la profondeur, la conscience d’un monde de douleurs térébrantes, l’ambition de les incarner.
Il danse la nuit qui marche en nous.
Ses pieds se rangent à la perfection à l’endroit où il a décidé de s’arrêter. Ses yeux se posent calmement sur le public venu admirer sa performance. Son regard est un premier geste, l’espace est ouvert, le spectacle peut commencer.
Nous sommes là, de fait, venus nous observer, ainsi rassemblés entre ombre et lumière.
Le noir se fait qui appelle au silence puis revient la lumière qui nous laisse muets, épiant dans l’ombre, animaux confus de la forêt obscure. Nous demeurons un mystère pour nous-mêmes qu’il faut présenter encore et encore pour en sentir les contours.
Le spectacle finit.
Noir rideau à nouveau avant que ne revienne nos paroles et le bruit dans le mensonge du jour.
De la danse a eu lieu entre deux nuits.
Nous en gardons la trace.
Il développe son geste qui s’arrête soudain. La ligne le traverse aussi pure que le trait impérieux du peintre sur la toile. Un geste sans repentir.
Cela nous laisse sans voix. L’incessant jacassement du discours enfin interrompu. Nous sommes muets devant l’énigme,
immobiles, enfin, devant le sphinx, cette roche animale qui, peut être, a bougé.
Il y a du minéral en lui. Me revient le souvenir ancien d’un grand maître d’Aïkido. Je le voyais marcher depuis l’entrée du Dojo,
s’agenouiller souplement et soudain, s’immobiliser entièrement, devenir une pierre posée là, face à nous et notre ignorance de ce qu’est un corps et de l’abîme qu’il contient.
Ce fut ma première leçon.
Le non-mouvement existe et une pierre peut parler.
Il est rare, en effet, de voir un homme qui danse. La plupart du temps quelque chose ne vas pas. On ne saurait trop dire quoi au juste. L’impression d’un simulacre, d’une gesticulation plus ou moins savante qui s’opère dans l’oubli de la nécessité d’une parole vive.
« Une danse que c’est pas la peine. » pour paraphraser Chabrier.
On se retourne alors vers la nature, l’animal se mouvant depuis l’endroit même que recherche la danse, l’arbre dont les branches captives du vent, remuent l’espace avec le tact et l’intelligence du bras et de la main enfin soumis aux gestes insufflés.
Toute la nature nous guide vers le geste juste c’est à dire le non vouloir, la patiente écoute, la véritable animation, le chant harmonieux qui s’élève comme sans effort de tout ce qui tend à vivre et accepte silencieusement le mourir.
Et puis, l’éclair et sa vivacité, le jaillissement, le bond de joie pure hors de l’onde.
Le calme, enfin, juste avant l’obscurité, ce soudain silence du vivant qui se prépare à « l’effroyable nuit ».
Il va, tel Diogène de Sinope, portant sa danse comme l’autre sa lampe, flamme vivante dans le jour aveuglant.
Voilà ce que ce danseur transporte avec lui. Il est là , face à nous, bien droit et courageusement chargé du fardeau qui nous incombe et que nous négligeons.
Ce fardeau, notre profonde humanité et l’inhumaine noirceur qui la compose, c’est ce qui leste toute danse de son poids de vérité.
Sans cela, à quoi bon?
Autant détourner le regard.
Il y a tellement à contempler, la grâce des enfants, le mouvement de cette prairie au loin où le cheval s’enfuit, le pas de la femme
aimée et qui revient vers nous, toute la danse du monde qui nous est donnée et que, Swee Keong Lee, grand danseur, bijou inaperçu, continue de danser pour nous, insouciants captifs d’une nuit ignorée.
Heddy Maalem