MAYA EN LIBERTÉ
Maya lissait sa frange.
Cela lui prenait un temps infini avant d’avoir raison de ses mèches rebelles. Ce n’est qu’en vacances qu’elle pouvait les laisser se former en boucles sauvages qui faisaient une auréole indomptée autour de son beau visage.
Elle se préparait pour la rentrée scolaire en se demandant avec un peu d’appréhension si elle serait à nouveau dans la même classe que ses amies.
La frange aplatie, ses vêtements passe-partout, son cartable peu pratique…Tout était fait pour correspondre à la norme, et, revêtue de ce qu’il fallait bien appeler un uniforme, avoir la garantie qu’on la laissa relativement tranquille.
Maya n’en pensait pas moins mais, comme elle était intelligente, elle avait vite compris que tout un code tacite sévissait dans son collège et qu’il aurait été un peu suicidaire et vain de refuser de s’y plier.
La liberté était ailleurs, dans ses conversations animées avec ses amies dont elle adorait la complicité et les fous rires, dans les livres qu’elles dévorait et qui la propulsaient vers d’autres mondes qu’elle habitait avec délice, dans la nature autour de chez elle où elle chevauchait souvent, s’aventurant dans le sous-bois, cueillant des mures succulentes qui lui maquillaient le visage, laissant son cheval libre de choisir le chemin qu’il voulait et s’amusant des détours qu’il prenait pour finir par rentrer à la maison accélérant l’allure jusqu’à un galop si rapide qu’il lui faisait pleurer les yeux.
Il y avait bien des choses qu’elle aimait par dessus tout. Par exemple, passer des heures à lire enfermée dans la vieille voiture, enveloppée par les senteurs étranges et un peu nostalgiques que dégageait la carlingue fatiguée. Ou bien, s’imaginant grande dresseuse, apprendre des tours à son chien qui lui obéissait patiemment attendant avec sagesse que le jeu la lassa. Ou encore, aller à la rapine dans la cuisine où elle parvenait toujours à dérober quelque chose chose de délicieux qu’elle savourait alors dans le secret de sa chambre. Et plus que tout, taquiner son petit frère dont l’épiderme sensible avait tôt fait de réagir douloureusement à ses piques assassines.
Elle s’amusait aussi à observer sans en avoir l’air son manège de petit garçon aventureux. Elle le connaissait si bien que, même sans le voir, uniquement en écoutant les bruits de son activité industrieuse autour de la maison ou dans les champs à proximité, elle pouvait deviner ce qu’il tramait et les prémisses de la catastrophe à venir qui se soldait le plus souvent par les cris excédés de ses parents ou par des hurlements de douleurs inversement proportionnels à la gravité des plaies et des bosses qu’il s’infligeait.
La chasse impitoyable qu’il livrait à des monstres imaginaires ou bien à quelque animal inoffensif mué en bête sanguinaire, la faisait rire sous cape ainsi que le sérieux qu’il mettait en toute chose.
Ils s’entendaient bien. Pour preuve leurs chamailleries incessantes, leurs fâcheries définitives qui ne durait jamais bien longtemps et surtout la compréhension et le besoin qu’ils avaient l’un de l’autre.
Tant de choses donnaient à Maya le sentiment de sa liberté mais beaucoup d’autres provoquaient chez elle un sentiment d’enfermement.
La sottise des jeunes gens de son âge la consternait. Comment pouvait-on être aussi bête? Elle mettait quasiment tous les garçons dans le même sac. Ils étaient balourds, grossiers, les pieds carrés, le front étroit et l’oeil vide.
Elle avait aussi beaucoup de mal à supporter certaines filles. Non pas l’habituelle cohorte caquetante, malveillante et jalouse dont elle se moquait bien mais ces quelques filles maquillées comme des femmes, hautaines et dédaigneuses, toute préoccupées de séduire les garçons réputés beaux (en général des singes musclés au front aussi bas que le quotient intellectuel). Elle voyait leur manège et la façon idiote dont elles s’affichaient à la sortie des cours, bien à la vue de tout le monde, embrassant passionnément leurs idiots, empotés et ravis.
Cela l’exaspérait. Surtout parce qu’elle se sentait un peu jalouse.
Elle ne savait pas trop ce qu’était l’amour, la rencontre avec un garçon, mais elle était bien sure que ce n’était pas ça. Elle voyait bien que ces filles voulaient en remontrer à tout le monde en faisant croire qu’elles étaient femmes quand ce n’était pas le cas.
Elle le sentait, elle le savait.
Quant à elle, elle attendait sans impatience que la vie tienne ses promesses. Elle aimerait un jour et ce jour là serait un jour merveilleux. Comment serait cet amour? Même si elle en rêvait, sa sagesse de toute jeune fille lui soufflait que l’inattendue de la rencontre ferait partie du tout.
Elle se répétait les mots de cette chanson en espagnol que son père chantait souvent :
« Tú no puedes volver atrás
Porque la vida ya te empuja
Con un aullido interminable,
Interminable…
Te sentirás acorralada
Te sentirás perdida o sola
Tal vez querrás no haber nacido,
No haber nacido…
Pero tú siempre acuérdate
De lo que un día yo escribí
Pensando en ti, pensando en ti,
Como ahora pienso…
La vida es bella ya verás,
Como a pesar de los pesares,
Tendrás amigos, tendrás amor,
Tendrás amigos… »
Elle ne les comprenait pas encore très bien mais , elle sentait qu’ils contenaient une sagesse et une promesse d’avenir.
Maya! entendit-elle sa mère s’impatienter. Sors de la salle de bain, nous allons être en retard!
Oui, oui, répondit Maya indolemment, j’arrive!
Ah la liberté! Souffla t-elle, tandis que sa mèche en révolte, rebouclait aussitôt sur son front