L'ARBRE CALLIGRAPHE
Il y a quelques jours, j’allais à cheval avec mon fils. Comme nous empruntions l’habituelle route vers les collines, il me signala un arbre dont l’hiver dévoilait le dessin remarquable.
Mon fils sait regarder.
Je n’y prêtais pas trop attention, jusqu’à ce que, récemment, mon ami Shen ZuoChang, depuis la belle et lointaine province du Sichuan, m’envoie quelques unes de ses oeuvres, calligraphies, poèmes et peintures dont une douzaine spécialement réalisées à mon intention et qui me sont allées droit au coeur.
Je ne sais pas pourquoi mais le parallèle s’est fait dans mon esprit entre mon ami calligraphe que je revois traçant avec énergie ses idéogrammes mystérieux sur le blanc du papier et cet arbre, seul, au tournant de la route, appuyant le dessin de sa forme contre la page du ciel.
Je suis retourné par le même chemin sans retrouver mon arbre. C’est au retour, alors que mon cheval se ruait avec enthousiasme vers le havre de l’écurie que je l’ai aperçu.
Il y a beaucoup d’arbres dans les collines d’Ariège, dépouillés par le vent d’hiver, ils livrent leur secret jusque là caché par la pudeur des feuilles.
La plupart sont communs, certains font l’effort d’une certaine élégance, très peu sont remarquables.
Un peu comme les humains.
L’arbre dont je parle, bizarrement isolé dans ce paysage de campagne, est sans doute une sorte de génie. Il borde une petite route où passent en ronronnant bêtement de rares voitures tristes.
J’imagine que peu de gens le remarquent.
C’est l’arbre pour quelques uns, peut-être pour un seul.
Il est simplement là et trace son message pour un autre que nous.
Comme Nietzsche, il choisit de regarder ailleurs, ignorant la banalité de nos manigances, pour dire oui à la nuée.
Il s’adresse au ciel. Il a patiemment inscrit en poussant ses branches, le signe magnifique qui lui est venu de la terre profonde.
Il a le temps
Le ciel lui répond et, par ses subtiles variations de couleur, nuance la savante expression de l’énergie montée jusques à lui.
Je l’observe.
Je vois ses branches planter sans remord leurs griffes noires au coeur du ciel changeant. J’imagine, comme un dialogue de l’univers ; surgi du ciel nocturne, un éclair faisant descendre sa menace dans la nuit où l’arbre disparait. Et la réponse, patiente, tenace, élégante et d’une extraordinaire complexité enchevêtrée dans l’écriture des branches.
Ou bien, au contraire, la question adressée et ce qui, en écho, semble rire du fond de notre nuit cosmique.
L’arbre est là.
Pour rien.
Il fait signe en vain, ou presque, puisque malgré tout, un cavalier solitaire le contemple, se laissant impressionner par la puissance de son obstination muette.
Je pense à nouveau à mon ami calligraphe, à son geste quand, régulièrement, il vient rincer le pinceau dans le grand bol de porcelaine. L’eau se teinte peu à peu du noir de l’encre de chine, comme, ici, la nuit liquide vient assombrir le ciel et noyer la ramure ciselée.
Elle viendra tout recouvrir de cette ombre où se fomentera le jour à venir.
Aube et aurore, assistantes zélées, viendront changer l’eau noircie de la nuit.
Bientôt, il fera jour et l’arbre répètera le même signe.
En vain me dis-je, en vain.
Un et deux et trois et quatre, disent les sabots de mon cheval.
Allons, allons, avance, avance.
Je sais qu’il a raison et je le remercie en me fondant dans son rythme de sagesse.
Il me semble maintenant comprendre un peu mieux l’art simple et merveilleux de mon ami Shen ZuoChang.
Il fait comme l’arbre.
Heddy Maalem – Janvier 2025