La rose dépliée

Une rose est une rose est une rose est une rose….

Sans doute faut-il le répéter pour que ne s’incarne plus la fleur mais l’abîme s’ouvrant à notre perception quand le mot échoue à restituer la chose. La langue nous en sépare en la nommant.

Le masque des mots est posé sur le monde.

Cette danseuse n’est pas une chose, pas une rose non plus. C’est une femme et elle est noire. Cela augmente le nombre des pétales et fait de sa danse une fleur bien étrange.

Le regard plisse et scrute la doublure du mystère.

Contempler. Voir venir.

Pour cela, mettre en mouvement mais sur place. Laisser la chose se former, s’aider du son, de la mécanique ferraillante déchainée par la musique, secouer l’alchimie de l’âme jusqu’à obtenir un précipité (que la langue dit bien la chose quand elle y consent!).

Affoler la danseuse, la jeter dans un rythme plus fort qu’elle pour obtenir un lâcher prise. Lui faire confiance, savoir qu’elle comprend, même confusément ce qu’on attend d’elle : une perte de conscience, une syncope, une chute soudaine du vouloir, le délivre de sa beauté.
Rien d’autre que le corps et l’énergie phénoménale, sa mise en vibration, le brouillage du cliché, la sensation enfin admise que toute vérité ne vient jamais au jour qu’à moitié.

Aspirer au contraire du jour : à la nuit,

à la part obscure, la mémoire enfouie, le sens enseveli.

Et cela vient : l’Histoire, le passé immémoriel, toute l’Afrique, toutes les femmes et la souffrance inexprimée.

Le corps exsude.

Le fond de la chose humaine? Pas encore, mais par dessous les gestes, une pure matière.

Qu’a t-elle dit la danseuse? Rien ne sort de ses lèvres que remue la parole.

La fleur, dans le silence, exhale son un parfum.

Retentissent les gongs et les cymbales. Le rituel a eu lieu, le blanc peut à nouveau dévorer le noir, nous laissant à notre absence de couleur. Le monde est là, il ne se livre pas. Il nous offre avec indifférence la page blanche du devenir.

Il répète ce qui va existant puis disparaissant mangé par l’éblouissant linceul du temps :

… Une rose qui est une rose et une rose et une rose…

                                             Heddy Maalem