Éloge du puissant royaume

Il faut beaucoup écouter en soi pour comprendre le
pourquoi des refus. Endurer l’immobilité pour que vienne
la nécessité du mouvement, se perdre pour retrouver sa trace.

Il y a des lieux où ne pas se tenir.
Rien n’y grandit en nous que le commun des gestes.
Il existe des terres d’élection, à l’écart des chemins tracés.
Il n’y a pas de cartographie de ces endroits, ce sont des
lieux retirés, humbles, ignorés, des terres de damnés.
Elles semblent sans espoir ni richesse.
Il fait bon parfois y marcher.
Ce sont des terres violentes, livrées à la poussière, aux
lisières de tout, des terres de bannis.
Ceux qui les habitent ne les ont pas choisies. Ils ont été
poussés là par les flots conjugués d’un destin et d’une
histoire. On les a privé du radeau du langage auquel nous
sommes arrimés pour survivre à notre naufrage.
Laissés pour compte sur la berge du temps, ils nous adressent des signes.

Ce sont des danses.
Elles viennent de la nuit des temps, de mondes hors de
portée de nos regards distraits.
Ces mondes forment un royaume sans roi ni sujets, sans
espoir ni renommée, déshérité. Il contient le pauvre, le
vulnérable, le moindre geste, la fragile articulation du
langage, l’argile de notre humanité, sa seule richesse.
Aucun pouvoir ne vient affaiblir sa puissance.
Cette puissance se couronne de mouvements jetés aussitôt
dans l’oubli. Elle est pure présence et abandon. Elle est
lutte sans merci pour une verticalité.
C’est une danse.
Elle parle en se retirant silencieusement du vacarme. Elle
est cette force qui va en nous, seigneurs de rien, maîtres
et danseurs en nos puissants royaumes.