Chère Madame
Chère Madame
J’ai pris connaissance des questions que vous m’avez envoyées.
Vous voudrez bien m’en excuser mais je n’y répondrai pas.
J’ai mis un terme à ma carrière il y a quelques années. Je suis désormais tourné vers ailleurs et je ne tiens pas à remettre sur le tapis une problématique qui m’a beaucoup occupé en son temps et qui désormais rappelle trop de vieilles lunes.
Mon Sacre du printemps a été vu, critiqué, jugé, disséqué et aussi, heureusement, admiré.
Tout cela est désormais derrière moi.
Je me suis, en vous lisant, demandé ce qui vous animait, vous, face à mon travail.
Presque vingt ans se sont écoulés, les questions à peine naissantes dans le contexte de l’époque ont fini par constituer un champ de mines, par alimenter le feu d’un débat pas prêt de s’éteindre et qui, comme je le constate aujourd’hui, vient agiter l’université et ses docteurs.
Pour tout dire, j’ai le sentiment que les réponses que vous attendez sont dans vos questions.
A mes yeux, elles ne contiennent pas un questionnement.
Il est donc bien inutile que je m’évertue à vous parler depuis l’endroit où je me tiens.
La problématique que vous soulevez a constitué mon destin.
J’ai vécu, enfant en Algérie, la guerre de décolonisation, ses atrocités , ses déchirures. ses haines irréconciliables.
J’ai vu la lutte désespérée de mon père, sa détermination, ses doutes, son humiliation.
L’histoire que vous évoquez, je l’ai vécue dans ma chair et payé le prix fort toute ma vie durant, pour éviter qu’elle ne m’anéantisse. J’ai du en faire une ligne de vie, me forger une éthique.
Ce vécu m’a appris la nuance, le discernement, la méfiance des courants dominants, le dégout des idées reçues.
J’ai vécu l’expérience du pouvoir mortifère des idéologies et le jeu meurtrier des appartenances.
Cela m’a déterminé à suivre mon chemin, ailleurs et autrement, en tâchant de ne pas céder aux sirènes de la mode, à l’univocité des pensées, à ce qui était présenté comme Évangile, et qui
changeait suivant les époques. Ce qui a fini par devenir ce politiquement correct navrant dans lequel nous pataugeons.
Notre peau n’est pas un drapeau. Cela, je l’ai compris.
Voilà, chère Madame, pourquoi je ne répondrai pas à vos questions et comment, à ma manière j’y réponds néanmoins.
Je suis sûr que vous trouverez quelqu’un qui se fera un plaisir de se soumettre à votre questionnaire.
Je vous souhaite pleine réussite dans votre quête et surtout qu’elle ne tarisse pas en vous, la curiosité et la clairvoyance auxquelles elle devrait vous mener.
Bien à vous.
Heddy Maalem