Attente

Il attendait.

Il s’était levé très tôt, avant le jour. Son chien, détaché, furetait déjà dans les buissons.
Il avait jeté un coup d’oeil rapide aux chevaux. Tout allait bien mais l’herbe devenait rare dans les enclos. Il fallait prévoir un changement de champ, bientôt.
La journée était maintenant ensoleillée, une de ces magnifiques matinées de début d’automne, chaude encore, dorée par un soleil qui avait fini de mordre et faisait comme un long et doux adieu avant l’hiver.

Il était resté assis un long moment au milieu du champ où ses chevaux broutaient avec constance.
Il observait les manoeuvres du chien qui, instinctivement,
cherchait à les rassembler. Il menait des attaques sournoises que les chevaux repoussaient d’un sabot négligent. Ils étaient habitués,
cela faisait partie de leur vie, ces petites plaies quotidiennes qu’ils savaient endurer avec fatalisme. Mouches, taons, pluie et vent, soleil et froid.

Ils acceptaient.

Il essayait d’en tirer une leçon de sagesse.
Le silence était presque complet, l’air du matin ne bougeait pas. Il y avait comme une attente de toute la nature, comme si le monde hésitait à entamer cette nouvelle journée.
Lui aussi hésitait. Il lui faudrait trouver le courage.
Il songeait à la façon dont le réel résiste, à cet entêtement.
Il cherchait vainement une sorte de philosophie de cet instant.
Tout est abandon, songeait-il.
Il entendait sa complainte et s’en moquait un peu.
Etrange pensait-il comme l’on peut vivre à plusieurs niveaux. Ce penchant pour la désolation était comme un vent coutumier et constant qui soufflait à la surface de son existence. Plus profond, il y avait un courant, une force, les eaux noires d’une rivière souterraine qui courait en lui et charriait avec force ses désirs profonds, son intense appétit de vivre, une inébranlable résolution et, comme ses chevaux, l’acceptation du monde comme il vient.
Demain, peut-être, il renouerait le fil qui, mystérieusement, le reliait au monde et à sa beauté. Il était semblable en cet instant au paysage qu’il contemplait : un froissement de collines anciennes, une terre séchée par la soif, un été révolu qui attendait l’hiver, qui l’attendait, lui.