Sacre du printemps

C’était une aube, Stravinsky créait « Le Sacre Du Printemps », une chose inouie. On entendit un hymne, une ode à la Nature, la musique
d’un monde, la vie, la reverdie. Nous savons maintenant qu’il composa un chant, celui des forces s’alliant du creux de la spirale au noir inéluctable. Printemps après printemps une guerre a vomi l’autre guerre. Le vert tendre des feuilles ne dure pas vraiment.

Voici rougir l’aube nouvelle.

On a interprété le Sacre mille fois. Inoubliable et neuve, arrive la même joie brutale, se préparent à jaillir du fond de tous les âges, des premiers temps : une orée, l’alliance des arches, le cri de l’herbe douce recoupée par la faux, l’animal et sa charge ; sa battue. Un flux roulant
dessus et sous la terre, le rythme inexplicable de feux brûlant, la nuit, cette haie de hauts cris étouffant une plainte.

La violence inextricable.

Comme l’on aimerait ne pas l’avoir perçue cette prémonition du glas des vieux tambours, leur puissance, leur persuasion vibratile qui confond dans le même : animer puis tuer.

La voici donc notre aube. Elle nous trouve occupé à l’étrange métier qui est de reconnaître les forces nouées ensemble dans les corps :
danser…..
Au même diapason, unis dans la plus grande dysharmonie pour célébrer encore un Sacre.

Danser ce qui est mort et qui renait et qui mourra. Dire le rite, cela qui mêle le mort au vif, l’os à la cendre. Redire ce qu’un homme inscrivit de façon si unique pour célébrer encore le don d’une joie si terrible. En respirer le rythme pour la dernière et la première fois, quand déjà, sur nos yeux, retombera le voile.

Et l’Afrique : un continent tout entier contenu dans l’espace qui sépare le jour qui finit de celui qui commence, une aurore. La fin et le début d’un monde. Un autre monde encore agenouillé quand Stravinsky voit se lever à l’Est, les soleils rouges. Un continent d’où sourd en même temps qu’une promesse : l’épaisse angoisse du printemps. Une terre qui supporte l’énorme poussée de l’univers, la force du demain bondissant.
Un dernier royaume où marcher.

                                                                                                              Heddy Maalem,
Juin 2003